Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/287

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
283
L’ABBESSE DE CASTRO.

jeune fille respirait la brise de mer qui se fait fort bien sentir sur la colline d’Albano, quoique cette ville soit séparée de la mer par une plaine de trois lieues. La nuit était sombre, le silence profond ; on eût entendu tomber une feuille. Hélène, appuyée sur sa fenêtre, pensait peut-être à Jules, lorsqu’elle entrevit quelque chose comme l’aile silencieuse d’un oiseau de nuit qui passait doucement tout contre sa fenêtre. Elle se retira effrayée. L’idée ne lui vint point que cet objet pût être présenté par quelque passant ; le second étage du palais où se trouvait sa fenêtre était à plus de cinquante pieds de terre. Tout à coup elle crut reconnaître un bouquet dans cette chose singulière qui, au milieu d’un profond silence, passait et repassait devant la fenêtre sur laquelle elle était appuyée ; son cœur battit avec violence. Ce bouquet lui sembla fixé à l’extrémité de deux ou trois de ces cannes, espèce de grands joncs, assez semblables au bambou, qui croissent dans la campagne de Rome et donnent des tiges de vingt à trente pieds. La faiblesse des cannes et la brise assez forte faisaient que Jules avait quelque difficulté à maintenir son bouquet exactement vis-à-vis la fenêtre où il supposait qu’Hélène pouvait se trouver, et d’ailleurs la nuit était tellement sombre, que de la rue l’on ne pouvait rien apercevoir à une telle hauteur. Immobile devant sa fenêtre, Hélène était profondément agitée. Prendre ce bouquet, n’était-ce pas un aveu ? Elle n’éprouvait d’ailleurs aucun des sentimens qu’une aventure de ce genre ferait naître, de nos jours, chez une jeune fille de la haute société, préparée à la vie par une belle éducation. Comme son père et son frère Fabio étaient dans la maison, sa première pensée fut que le moindre bruit serait suivi d’un coup d’arquebuse dirigé sur Jules ; elle eut pitié du danger que courait ce pauvre jeune homme. Sa seconde pensée fut que, quoiqu’elle le connût encore bien peu, il était pourtant l’être au monde qu’elle aimait le mieux après sa famille. Enfin, après quelques minutes d’hésitation, elle prit le bouquet, et, en touchant les fleurs dans l’obscurité profonde, elle sentit qu’un billet était attaché à la tige d’une fleur ; elle courut sur le grand escalier pour lire ce billet à la lueur de la lampe qui veillait devant l’image de la Madone. Imprudente ! se dit-elle lorsque les premières lignes l’eurent fait rougir de bonheur, si l’on me voit, je suis perdue, et ma famille persécutera à jamais ce pauvre jeune homme. Elle revint dans sa chambre et alluma sa lampe. Ce moment fut délicieux pour Jules qui, honteux de sa démarche et comme pour se cacher même dans la profonde nuit, s’était collé au tronc énorme d’un de