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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

ils les oppriment civilement[1] ; de l’autre, ils les affranchissent et les élèvent jusqu’à eux-mêmes, au plus haut degré de la liberté politique, au partage de la souveraineté. Ils les font entrer dans une constitution à la fois libre et monarchique ; c’est le plus bel alignement d’institutions qu’on puisse voir, c’est quelque chose d’artistement conçu, de savamment balancé, de parfaitement homogène[2]. Quand les textes manquent à l’auteur, ou refusent de lui fournir les preuves de cette constitution imaginaire, de prétendues coutumes germaniques, trouvées ou devinées par une induction plus ou moins arbitraire, sont les sources où elle va puiser. C’est par des règles émanées de ces coutumes qu’elle supplée au silence des documens originaux ou qu’elle les interprète à sa guise[3]. Les règles primitives, comme elle les appelle, sont le fondement de son livre ; elle les voit toujours subsistantes, toujours immuables sous les deux races frankes dont le gouvernement lui apparaît comme identique.

De Clovis à Charles-le-Chauve, elle n’aperçoit aucun changement social qui soit digne d’être noté ; il n’y a pas, selon elle, de révolution dans cet intervalle de trois siècles ; on y trouve seulement les oscillations inévitables d’une constitution mixte, où la souveraineté, le droit de paix et de guerre, la puissance législative et judiciaire, se partagent entre le prince et le peuple. Pour former cette constitution, les principes de la liberté germanique, énoncés d’après Tacite, s’en vont refluant jusqu’au-delà du règne de Charlemagne, et l’administration de Charlemagne reflue jusqu’au règne de Clovis : vue chimérique à l’égal des plus grandes chimères de Mably, et sous un rapport plus contraire à l’histoire ; car, du Ve au Xe siècle, Mably du

  1. « Les droits de guerre et de conquête furent exercés par les Francs dans toute leur barbarie, et ils s’approprièrent tous les domaines dont ils purent se saisir pendant leurs conquêtes dans les provinces gauloises. » (Théorie des lois politiques, etc., tom. II, discours, pag. 9.) — « On en appelle à l’esprit et à la lettre du premier code salique ; on y trouve partout le Romain traité avec infériorité à l’égard du Franc ou du Barbare. » (Ibid., tom. II, sommaire des preuves, pag. 28.)
  2. « On remarque dans ces lois une attention égale à prévenir les entreprises des rois contre la liberté du peuple, et les entreprises du peuple contre les prérogatives de la royauté, et cette balance est véritablement le caractère distinctif du gouvernement monarchique. » (Ibid., tom. III, discours, pag. 37.) — « On trouve, dans la constitution primitive, l’alliance de la liberté politique et d’une dépendance réglée. On retrouve l’esprit et la lettre des coutumes germaniques dans les plus grands traits et dans les moindres détails des lois et du gouvernement. » (Ibid., tom. VIII, conclusion, pag. 80.)
  3. « Les diverses nations qui composèrent avec les Francs le peuple de la monarchie, passèrent sous le même gouvernement que les Francs. Ce sera donc dans les règles politiques admises par les Francs, à l’époque où commença la conquête, que l’on reconnaîtra les lois fondamentales d’où dérivèrent les droits respectifs des rois et des divers sujets dans la monarchie franque. » (Ibid., tom. VIII, discours, pag. 4.)