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L’ABBESSE DE CASTRO.

d’eau, et tels qu’on peut en trouver sur les dalles d’une église ; ces billets contenaient tous le même avertissement :

« Ils avaient tout découvert, excepté son nom. Qu’il ne reparaisse plus dans la rue ; on viendra ici souvent. »

Hélène laissa tomber un de ces lambeaux de papier ; un regard avertit Jules, qui ramassa et disparut. En rentrant chez elle, une heure après, elle trouva sur le grand escalier du palais un fragment de papier qui attira ses regards par sa ressemblance exacte avec ceux dont elle s’était servie le matin. Elle s’en empara, sans que sa mère elle-même s’aperçût de rien ; elle y lut :

« Dans trois jours il reviendra de Rome, où il est forcé d’aller. On chantera en plein jour, les jours de marché, au milieu du tapage des paysans, vers dix heures. »

Ce départ pour Rome parut singulier à Hélène. Est-ce qu’il craint les coups d’arquebuse de mon frère ? se disait-elle tristement. L’amour pardonne tout, excepté l’absence volontaire ; c’est qu’elle est le pire des supplices. Au lieu de se passer dans une douce rêverie et d’être tout occupée à peser les raisons qu’on a d’aimer son amant, la vie est agitée par des doutes cruels. Mais, après tout, puis-je croire qu’il ne m’aime plus ? se disait Hélène pendant les trois longues journées que dura l’absence de Branciforte. Tout à coup ses chagrins furent remplacés par une joie folle : le troisième jour, elle le vit paraître en plein midi, se promenant dans la rue, devant le palais de son père. Il avait des habillemens neufs et presque magnifiques. Jamais la noblesse de sa démarche et la naïveté gaie et courageuse de sa physionomie n’avaient éclaté avec plus d’avantage ; jamais aussi, avant ce jour-là, on n’avait parlé si souvent dans Albano de la pauvreté de Jules. C’étaient les hommes et surtout les jeunes gens qui répétaient ce mot cruel ; les femmes et surtout les jeunes filles ne tarissaient pas en éloges de sa bonne mine.

Jules passa toute la journée à se promener par la ville ; il semblait se dédommager des mois de réclusion auxquels sa pauvreté l’avait condamné. Comme il convient à un homme amoureux, Jules était bien armé sous sa tunique neuve. Outre sa dague et son poignard, il avait mis son giacco (sorte de gilet long en mailles de fil de fer, fort incommode à porter, mais qui guérissait ces cœurs italiens d’une triste maladie, dont en ce siècle-là on éprouvait sans cesse les atteintes poignantes, je veux parler de la crainte d’être tué au détour de la rue par un des ennemis qu’on se connaissait). Ce jour-là, Jules espérait entrevoir Hélène, et d’ailleurs il avait quelque répugnance à