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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/337

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DE L’IRLANDE.

les peuples auxquels manquèrent ses épreuves, ont marché, nul ne l’ignore, d’un pas moins ferme dans cette grande route de la civilisation européenne dont l’invasion fut le point de départ et dont les révolutions politiques sont les étapes. Quelles qu’aient été les souffrances du peuple anglo-saxon, il n’est douteux pour personne que l’Angleterre ne doive ses glorieuses destinées à cet esprit normand qui l’a si fortement organisée à l’intérieur, en même temps qu’il lui imprimait au dehors une impulsion énergique. Si l’expédition de Henri II a eu pour l’Irlande des résultats très différens, c’est qu’elle s’est produite dans des conditions aussi très différentes ; et l’on doit bien moins plaindre les Irlandais d’avoir été soumis par un peuple supérieur en puissance et prédestiné à de grandes choses, que de ne pas s’être trouvé en mesure de recueillir les fruits produits ailleurs par de tels évènemens.

La conquête d’Érin par les princes de la maison de Plantagenet était la conséquence forcée de l’établissement de la monarchie normande dans l’île voisine. Comme la plupart des grands évènemens historiques, elle est sortie des faits eux-mêmes, bien plus que des combinaisons d’une politique habile. Avant que le fils de Mathilde se décidât à joindre à ses nombreux domaines d’Angleterre et de Normandie, d’Anjou, de Poitou et de Guienne, la pauvre seigneurie d’Irlande, l’occupation du littoral de ce pays par des aventuriers anglais était irrévocablement consommée. Les Strougbow, les Fitz-Stephen, les Fitz-Gerald, et leurs compagnons bardés de fer, avaient déjà pris pied dans cette île, et dès long-temps la barbarie et l’imprévoyance des chefs indigènes, en lutte éternelle les uns contre les autres, avaient porté un coup mortel à la cause de l’indépendance. Pressée entre les Norvégiens depuis plus d’un siècle maîtres de ses ports, et les chevaliers entreprenans qui, chaque jour, appelaient à leur aide de nouveaux auxiliaires, l’Irlande devait entrer par une voie ou par une autre dans le mouvement européen à part duquel elle avait vécu jusqu’alors. En allant recevoir à Dublin l’hommage de ses vassaux anglais que leurs succès militaires ou leurs alliances rendaient déjà possesseurs de vastes domaines en Irlande, Henri II ne fit que régulariser un fait, à bien dire consommé ; il rattacha au trône du suzerain les anneaux brisés de la grande chaîne féodale.

La cour de Rome suivit les inspirations d’une politique analogue en sanctionnant l’invasion normande. Peut-être l’intérêt pieux qui s’attache aux nationalités éteintes a-t-il, sous ce rapport, égaré l’opinion, et altéré en quelque chose le caractère de cette période