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DE L’IRLANDE.

gieuses, de tous les bénéfices ecclésiastiques, et poursuivent avec rigueur leurs bardes, ces dépositaires inspirés des traditions nationales.

Cependant les coups portés aux indigènes par les colons renfermés dans l’enceinte du pale ne suffisaient pas pour atteindre un but trop hautement avoué ; car un peuple a la vie dure, et les nations ont plus à redouter le suicide que l’assassinat. Ces tentatives, impuissantes autant que cruelles, n’avaient pour résultat définitif que de couper court, chez ces peuples, à tous les progrès qu’ils eussent faits sans doute dans une situation plus tranquille : aussi reculaient-ils dans la barbarie à mesure que l’Europe s’avançait vers la civilisation des temps modernes. Dans le cours du XVe siècle, l’Angleterre, tout entière à ses vues ambitieuses sur la France, puis déchirée par la guerre civile, n’entretint en Irlande que quelques bandes sans discipline ; elle n’y envoya que de rares subsides, auxquels il fallait suppléer par le pillage. Les liens déjà si faibles qui unissaient les deux contrées se relâchèrent de plus en plus, et, à l’avènement de Henri VII, l’autorité royale n’était reconnue que dans une partie des quatre comtés de Dublin, Kildare, Louth et Meath, et ne s’étendait pas à plus de trente milles dans l’intérieur. Mais de cette époque date pour l’Irlande l’ouverture d’une ère entièrement nouvelle. Après avoir souffert de l’abandon et de l’oubli du gouvernement anglais, elle allait ressentir les maux bien plus terribles qu’un pouvoir tyrannique inflige à l’objet d’une haine implacable et d’une persévérance acharnée.

C’est du sein des discordes civiles que sortent les royautés énergiques, et l’anarchie fut toujours le creuset où se trempa le despotisme. La maison de Tudor appliqua à l’Irlande la force immense que les malheurs des temps lui avaient donnée en Angleterre. À ses efforts prolongés jusqu’à la mort d’Élisabeth, la Grande-Bretagne dut une conquête jusqu’alors illusoire, et qui ne date en réalité que du commencement du XVIIe siècle. Pendant la lutte entre les maisons d’York et de Lancastre, la petite colonie anglo-irlandaise avait lié son sort à la fortune de la rose blanche. Tous les prétendans et tous les aventuriers politiques, Lambert Simnel comme Perkin-Warbec, avaient essayé de s’en faire un point d’appui ; il fallait donc, pour arriver à cette consolidation du pouvoir absolu, qui fut la pensée et l’œuvre des Tudors, s’occuper enfin sérieusement de l’Irlande, et la lier étroitement au nouveau système imposé à la mère patrie. Des forces de plus en plus considérables furent dirigées vers