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DE L’IRLANDE.

également formidables. Dégradées aux yeux de la loi et par elle-même, ces populations se vengeaient en demandant à un effroyable système une protection qu’il leur était interdit, depuis des siècles, d’attendre de magistrats ennemis nés de leur foi, de leur patrie et de leur race ; ne pouvant plus sauver l’Irlande, leur instinct les poussait à en rendre la possession dommageable et terrible, comme ces marins qui mettent le feu aux poudres lorsque l’ennemi est monté à bord.

Cette étrange organisation, dont le mobile a échappé aux plus minutieuses enquêtes parlementaires, a semé sur ce sol plus de dangers que le pionnier américain n’en rencontre dans les forêts habitées par l’Indien, le voyageur dans le désert où l’Arabe déploie ses tentes : effroyable jurisprudence populaire, qui, si elle est atroce dans ses résultats, s’explique trop bien lorsqu’on remonte à son principe, à travers tant de confiscations et de massacres.

Il suffit de jeter un regard sur la condition présente de ce peuple, telle que les vicissitudes du passé l’ont faite, pour comprendre cet accord qui, en face des propriétaires et des magistrats, rend tous les paysans solidaires, à ce point que, dans une nuit, sur une étendue de plusieurs milles, tous prêtent le même serment, reçoivent le même mot d’ordre, s’arment pour le même fait, et rentrent, ce fait consommé, dans leur silence et dans leur repos[1].

Jusqu’au rapport de l’union en 1800, le parlement irlandais s’était abstenu d’ouvrir aucune enquête sur les causes de la misère et de la turbulence des classes agricoles : il ne voulait pas lire dans ses résultats l’éclatante condamnation de ses actes. En 1824, les deux chambres du parlement d’Angleterre, sérieusement occupées du gouvernement de l’Irlande, instituèrent des comités chargés de recueillir des témoignages sur cette question, la plus grave entre toutes celles dont est saisie la législature britannique. De nouvelles enquêtes furent ouvertes en 1832 et 1834 sur tous les intérêts relatifs à ce pays, la réforme de l’église, les dîmes, l’instruction populaire, etc., et ces volumineuses Evidences présentent en ce moment une masse de renseignemens matériellement plus considérables que ce qui a peut-être jamais été recueilli dans aucun temps et dans aucun pays.

Sans entrer maintenant dans l’examen spécial de ces questions, il

  1. Voyez Wakefield, Account of Ireland, et surtout, pour ce qui concerne les associations et les troubles locaux, le récent et curieux ouvrage de M. George Cornwall-Lewis : On the disturbances in Ireland and the Irish church question. Ce livre présente un résumé très judicieux des principales Evidences parlementaires recueillies en 1824, 1832 et 1834.