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price littéraire. On peut croire que Thouret, législateur de 1791, fut amené, par la vue même du renouvellement social auquel il avait coopéré, à un retour d’intérêt pour les derniers temps de l’ancienne société civile et d’estime pour le mécanisme uniforme et grandiose de l’administration gallo-romaine[1]. Reprenant pour son compte le système tout romain que l’opinion avait délaissé, il le remit de pair avec la théorie en faveur, le système tout germain de Mably, et c’est dans ce grossier symptôme d’une nouvelle tendance historique que consiste l’originalité de son livre qui, du reste, est d’une monstrueuse incohérence. Après avoir décrit l’administration de la Gaule au Ve siècle et exposé, selon les idées de Dubos, que le gouvernement et tout le système administratif restèrent, sous la première race des rois franks et en partie sous la seconde, ce qu’ils étaient sous l’empire romain, Thouret, d’après Mably, fait venir de Germanie la démocratie pure, qui s’altère, sous les premiers Mérovingiens, par la coalition des rois, des évêques et des leudes contre le peuple, se transforme en despotisme sous les maires du palais, puis renaît en partie sous Charlemagne, pour disparaître sans retour sous ses successeurs. Quant au fond du système, entre l’auteur des Observations sur l’histoire de France et son abréviateur, il n’y a pas une seule variante ; mais, dans ses conclusions politiques, Thouret dépasse de beaucoup l’écrivain qu’il abrége, et, pour cela, il n’a pas besoin d’une grande hardiesse, il lui suffit de s’accommoder à l’esprit de son temps et aux évènemens accomplis. À l’époque où il s’avisa de devenir historien, il avait vu 1792 et l’abolition de la royauté ; il acceptait, comme légitime, cette phase extrême de la révolution ; elle lui semblait motivée et amenée de loin par toute la série des faits antérieurs, et, pour lui, notre histoire, du VIe siècle à la fin du XVIIIe, n’était, en dernière analyse, que le passage de la république des Franks à la république française. C’est pour l’instruction d’un fils alors très jeune qu’il composa son livre, qui fut publié avec un grand

  1. Cette conjecture peut s’appuyer d’une opinion émise en 1799 par François de Neufchâteau, ami de Thouret et éditeur de la première partie de son ouvrage. « Le précis de l’abbé Dubos, écrivait-il dans le Conservateur, est un chef-d’œuvre d’analyse… L’extrait de Thouret donne une idée très nette des formes du gouvernement que les Romains avaient établi dans les Gaules, et qui fut à peu près suivi par Clovis et par ses successeurs. La division du pays, les magistrats municipaux, les subsides, etc., sont des objets d’autant plus dignes de notre attention, qu’après avoir parcouru un long cercle d’aberrations politiques, nous semblons revenir à beaucoup de parties du plan adopté par les Romains. » (Le Conservateur, ou recueil de morceaux inédits d’histoire, de politique, de littérature et de philosophie, tirés du portefeuille de N. François de Neufchâteau, de l’Institut national, tom. I, préface, pag. 16 et 21.)