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DOCUMENS INÉDITS SUR ANDRÉ CHÉNIER.

poème sur la nature des choses. Le Brun tentait l’œuvre d’après Buffon ; Fontanes, dans sa première jeunesse, s’y essayait sérieusement, comme l’attestent deux fragmens, dont l’un surtout (tome I, p. 381) est d’une réelle beauté. André Chénier s’y poussa plus avant qu’aucun, et, par la vigueur des idées comme par celle du pinceau, il était bien digne de produire un vrai poème didactique dans le grand sens.

Mais la révolution vint ; dix années, fin de l’époque, s’écroulèrent brusquement avec ce qu’elles promettaient, et abîmèrent les projets ou les hommes : les trois Hermès manquèrent : la poésie du XVIIIe siècle n’eut pas son Buffon. Delille ne fit que rimer gentiment les trois règnes.

Toutes les notes et tous les papiers d’André Chénier, relatifs à son Hermès, sont marqués en marge d’un delta ; un chiffre, ou l’une des trois premières lettres de l’alphabet grec, indique celui des trois chants auquel se rapporte la note ou le fragment. Le poème devait avoir trois chants, à ce qu’il semble : le premier sur l’origine de la terre, la formation des animaux, de l’homme ; le second sur l’homme en particulier, le mécanisme de ses sens et de son intelligence, ses erreurs depuis l’état sauvage jusqu’à la naissance des sociétés, l’origine des religions ; le troisième sur la société politique, la constitution de la morale et l’invention des sciences. Le tout devait se clore par un exposé du système du monde selon la science la plus avancée.

Voici quelques notes qui se rapportent au projet du premier chant et le caractérisent

« Il faut magnifiquement représenter la terre sous l’emblème métaphorique d’un grand animal qui vit, se meut et est sujet à des changemens, des révolutions, des fièvres, des dérangemens dans la circulation de son sang. »

« Il faut finir le chant Ier par une magnifique description de toutes les espèces animales et végétales naissant ; et, au printemps, la terre prægnans ; et, dans les chaleurs de l’été, toutes les espèces animales et végétales se livrant aux feux de l’amour et transmettant à leur postérité les semences de vie confiées à leurs entrailles. »

Ce magnifique et fécond printemps, alors, dit-il,

Que la terre est nubile et brûle d’être mère,
devait être imité de celui de Virgile au livre II des Géorgiques : Tùm, Pater omnipotens, etc., etc., quand Jupiter
De sa puissante épouse emplit les vastes flancs.