Chacun avec son monde emporté dans l’espace,
Ils cheminent eux-même : un invincible poids
Les courbe sous le joug d’infatigables lois,
Dont le pouvoir sacré, nécessaire, inflexible,
Leur fait poursuivre à tous un centre irrésistible. »
C’était une bien grande idée à André que de consacrer ainsi ce troisième chant à la description de l’ordre dans la société d’abord, puis à l’exposé de l’ordre dans le système du monde, qui devenait l’idéal réfléchissant et suprême.
Il établit volontiers ses comparaisons d’un ordre à l’autre : « On peut comparer, se dit-il, les âges instruits et savans, qui éclairent ceux qui viennent après, à la queue étincelante des comètes. »
Il se promettait encore de « comparer les premiers hommes civilisés, qui vont civiliser leurs frères sauvages, aux éléphans privés qu’on envoie apprivoiser les farouches ; et par quels moyens ces derniers ? » — Hasard charmant ! l’auteur du Génie du Christianisme, celui même à qui l’on a dû de connaître d’abord le charme poétique d’André et la jeune Captive[1], a rempli comme à plaisir la comparaison désirée, lorsqu’il nous a montré les missionnaires du Paraguay, remontant les fleuves en pirogues, avec les nouveaux catéchumènes qui chantaient de saints cantiques : « Les néophytes répétaient les airs, dit-il, comme des oiseaux privés chantent pour attirer dans les rets de l’oiseleur les oiseaux sauvages. »
Le poète, pour compléter ses tableaux, aurait parlé prophétiquement de la découverte du Nouveau-Monde : « Ô Destins, hâtez-vous d’amener ce grand jour qui… qui… ; mais non, Destins, éloignez ce jour funeste, et s’il se peut, qu’il n’arrive jamais ! » Et il aurait flétri les horreurs qui suivirent la conquête. Il n’aurait pas moins présagé Gama et triomphé avec lui des périls amoncelés que lui opposa en vain
On a l’épilogue de l’Hermès presque achevé : toute la pensée philosophique d’André s’y résume et s’y exhale avec ferveur :
Ô mon fils, mon Hermès, ma plus belle espérance ;
Ô fruit des longs travaux de ma persévérance,
- ↑ M. de Châteaubriand tenait cette pièce de Mme de Beaumont, sœur de M. de La Luzerne, sous qui André avait été attaché à l’ambassade d’Angleterre : elle-même avait directement connu le poète.