Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/391

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
387
REVUE LITTÉRAIRE.

épanouie comme s’épanouissent les plantes ; elle a mûri comme les fruits de nos vergers, sous le soleil et la rosée. Refuser le secours du temps et condamner l’intelligence au régime de l’improvisation, ce n’est donc pas moins que nier les lois qui président au développement des facultés humaines, comme aux transformations de tous les êtres vivans que nous avons sous les yeux. C’est une gageure insensée, proposée par l’orgueil et acceptée par l’ignorance.

En voyant se multiplier autour de nous les ébauches boiteuses, en écoutant les bégaiemens confus qui se donnent pour des paroles, comment ne pas se demander la raison du rapide oubli qui envahit toutes ces œuvres promises à la durée ? Faudra-t-il révoquer en doute le progrès continu de l’intelligence humaine ? À Dieu ne plaise ! Les hommes de notre temps ne valent pas moins que les hommes du XVIIe siècle ; mais ils se proposent une tâche que nos aïeux n’ont jamais rêvée ; ils ont rayé de leur mémoire l’idée de temps, ils tentent l’impossible et il est tout simple qu’ils soient déçus dans leurs folles espérances. Lorsqu’ils voudront échanger le régime de l’orgueil et de l’improvisation contre le régime de la modestie et de la patience, ils produiront des œuvres durables.

Diane et Louise, qui nous ont suggéré ces réflexions, n’échapperont sans doute pas à la destinée commune de la plupart des œuvres contemporaines. Elles seront oubliées, et pour elles l’oubli ne sera pas une injustice. Que M. Soulié descende en lui-même, qu’il interroge sa conscience littéraire, et qu’il se demande sincèrement s’il a fait tout ce qu’il pouvait faire : nous avons l’assurance qu’il jugera comme nous les deux récits qu’il vient de nous donner. Notre franchise lui paraîtra peut-être exagérée : au milieu des louanges complaisantes qui accueillent chacun de ses ouvrages, notre voix lui semblera bien sévère ; mais l’avenir prendra soin de nous justifier, et M. Soulié, dès qu’il aura renoncé à l’improvisation, sera le premier à proclamer notre équité.


Gustave Planche.