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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/432

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REVUE DES DEUX MONDES.

l’avaient émue ; jamais, enfin, son cœur n’avait donné signe de vie, et, en la voyant passer dans tout l’éclat de sa nonchalante beauté, on aurait pu la prendre pour une belle somnambule qui traversait ce monde en rêvant.

Tant d’indifférence et de coquetterie ne semblait pas aisé à comprendre. Les uns disaient qu’elle n’aimait rien ; les autres, qu’elle n’aimait qu’elle-même. Un seul mot suffisait cependant pour expliquer son caractère : elle attendait. Depuis l’âge de quatorze ans, elle avait entendu répéter sans cesse que rien n’était aussi charmant qu’elle ; elle en était persuadée ; c’est pourquoi elle prenait grand soin de sa parure : en manquant de respect à sa personne, elle aurait cru commettre un sacrilége. Elle marchait, pour ainsi dire, dans sa beauté, comme un enfant dans ses habits de fête ; mais elle était bien loin de croire que cette beauté dût rester inutile ; sous son apparente insouciance se cachait une volonté secrète, inflexible, et d’autant plus forte qu’elle était mieux dissimulée. La coquetterie des femmes ordinaires, qui se dépense en œillades, en minauderies et en sourires, lui semblait une escarmouche puérile, vaine, presque méprisable. Elle se sentait en possession d’un trésor, et elle dédaignait de le hasarder au jeu pièce à pièce : il lui fallait un adversaire digne d’elle ; mais, trop habituée à voir ses désirs prévenus, elle ne cherchait pas cet adversaire ; on peut même dire davantage, elle était étonnée qu’il se fît attendre. Depuis quatre ou cinq ans qu’elle allait dans le monde et qu’elle étalait consciencieusement ses paniers, ses falbalas et ses belles épaules, il lui paraissait inconcevable qu’elle n’eût point encore inspiré une grande passion. Si elle eût dit le fond de sa pensée, elle eût volontiers répondu à ceux qui lui faisaient des complimens : « Eh bien ! s’il est vrai que je sois si belle, que ne vous brûlez-vous la cervelle pour moi ? » Réponse que, du reste, pourraient faire bien des jeunes filles, et que plus d’une, qui ne dit rien, a au fond du cœur, quelquefois sur le bord des lèvres.

Qu’y a-t-il, en effet, au monde, de plus impatientant pour une femme que d’être jeune, belle, riche, de se regarder dans son miroir, de se voir parée, digne en tout point de plaire, toute disposée à se laisser aimer, et de se dire : On m’admire, on me vante, tout le monde me trouve charmante, et personne ne m’aime. Ma robe est de la meilleure faiseuse, mes dentelles sont superbes, ma coiffure est irréprochable, mon visage le plus beau de la terre, ma taille fine, mon pied bien chaussé ; et tout