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mais c’était un assoupissement douloureux, entrecoupé de faibles plaintes qui me déchiraient l’ame. Quand il eut perdu tout espoir de retrouver celui qu’il attendait toujours, il résolut de se laisser mourir. Il refusa de manger, et je le vis expirer sur le fauteuil de son maître, en me regardant d’un air de reproche, comme si j’étais la cause de ses fatigues et de sa mort. Quand je vis ses yeux éteints et ses membres glacés, je ne pus retenir des torrens de larmes ; je le pleurai encore plus amèrement que je n’avais pleuré Christophore. Il me sembla que je perdais celui-ci une seconde fois.

Cet événement, si puéril en apparence, acheva de me précipiter du haut de mon orgueil dans un abîme de douleur. À quoi m’avait servi cet orgueil ? à quoi m’avait servi mon intelligence ? La maladie avait frappé l’une d’impuissance ; l’humilité d’un homme charitable, l’affection fidèle d’un pauvre animal, m’avaient plus secouru que l’autre. Maintenant que la mort m’enlevait les seuls objets de ma sympathie, la raison, dont j’avais fait mon dieu, m’enseignait, pour toute consolation, qu’il ne restait plus rien d’eux, et qu’ils devaient être pour moi comme s’ils n’eussent jamais été. Je ne pouvais me faire à cette idée de destruction absolue, et pourtant ma science me défendait d’en douter. J’essayai de reprendre mes études, espérant chasser l’ennui qui me dévorait : cela ne servit qu’à absorber quelques heures de ma journée. Dès que je rentrais dans ma cellule, dès que je m’étendais sur mon lit pour dormir, l’horreur de l’isolement se faisait sentir chaque jour davantage ; je devenais faible comme un enfant, et je baignais mon chevet de mes larmes ; je regrettais ces souffrances physiques qui m’avaient semblé insupportables et qui maintenant m’eussent été douces, si elles eussent pu ramener près de moi Christophore et Bacco.

Je sentis alors profondément que la plus humble amitié est un plus précieux trésor que toutes les conquêtes du génie ; que la plus naïve émotion du cœur est plus douce et plus nécessaire que toutes les satisfactions de la vanité. Je compris, par le témoignage de mes entrailles, que l’homme est fait pour aimer, et que la solitude, sans la foi et l’amour divin, est un tombeau, moins le repos de la mort ! Je ne pouvais espérer de retrouver la foi ; c’était un beau rêve évanoui, qui me laissait plein de regrets ; ce que j’appelais ma raison et mes lumières l’avaient bannie sans retour de mon ame. Ma vie ne pouvait plus être qu’une veille aride, une réalité desséchante. Mille pensées de désespoir s’agitèrent dans mon cerveau. Je songeai à quitter le cloître, à me lancer dans le tourbillon du monde, à