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cipations ne s’opérèrent que partiellement, comment l’agrégation put-elle se former ? Il est vraisemblable, en effet, qu’à mesure que l’affranchissement rachetait les victimes de l’esclavage et les restituait à la société, elles durent se confondre avec elle. Telle est d’ailleurs l’opinion de M. Granier de Cassagnac lui-même. « Il se conçoit sans peine, dit-il, que les émancipations individuelles ne versant en quelque sorte les prolétaires que goutte à goutte, le sol de l’ancienne société avait le temps de les absorber. » Et quelques lignes plus bas : « Le nombre des prolétaires, ajoute-t-il, était donc fort restreint avant l’ère vulgaire, et même pendant les trois siècles qui la suivirent, à cause de la très petite masse d’affranchis que les émancipations individuelles avaient jetés dans la société[1]. » N’y aurait-il donc pas eu de commune, selon M. Granier de Cassagnac, avant le IVe siècle de l’ère chrétienne ? Il n’est pas permis de lui prêter une semblable idée, car il a fait à cet égard une profession de foi très explicite. « Pour reprendre, dit-il, au commencement du chapitre VIII, l’une des idées principales sur lesquelles repose l’économie de ce livre, la commune n’est pas, comme on le croit généralement à cette heure et dans l’état présent des études historiques, un fait propre aux temps modernes et aux royaumes occidentaux. C’est encore une erreur de penser que la première formation des communes date exclusivement du XIIe siècle. À notre avis, la commune est un fait général, universel, humain, de tous les pays et de tous les temps. » Mais alors, je le répète, comment l’agrégation d’individus nécessaire pour former la commune put-elle s’effectuer ? Il faut que l’auteur, tout en nous parlant d’émancipations individuelles, suppose néanmoins des affranchissemens en masse ; c’est une contradiction qui ressortirait évidemment de ses diverses assertions, quand il ne l’aurait pas exprimée nettement. Mais en résumant son livre, « nous avons, dit M. Granier, suivi les races esclaves au sortir de l’esclavage par l’émancipation, et nous les avons vues se diviser en deux grandes colonnes. » Du reste, cette contradiction n’est pas la seule qui nous ait frappé dans l’Histoire des Classes ouvrières et des Classes bourgeoises, et plusieurs fois, en la lisant, nous avons été tenté d’appliquer à l’auteur ce que Cicéron dit de l’orateur Curion : « Sed nihil turpius, quam quod etiam in scriptis oblivisceretur, quid paulo ante posuisset[2]. »

Maintenant, il ne sera peut-être pas sans intérêt pour le lecteur de savoir à quels symptômes particuliers M. Granier de Cassagnac prétend reconnaître la commune chez les anciens. « Il existe, dit-il, des symptômes dont la présence suffisamment établie atteste toujours infailliblement la formation des communes. »

Un de ces symptômes, et le plus frappant, selon M. Granier de Cassagnac, c’est l’existence des villes murées, c’est-à-dire des villes dont les maisons étaient associées. Mais cette question en présuppose naturellement

  1. Chap. II, pag. 26.
  2. Brut., LX.