Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/501

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
497
CRITIQUE HISTORIQUE.

en avoir. La commune, en effet, eût été une république dans la république, une patrie dans la patrie ; or, aux yeux de tout homme qui a une idée même superficielle, de la vie politique des anciens et de leur esprit public, une pareille division n’était pas possible.

Mais, s’il n’y avait point de commune, y avait-il une féodalité ? La réponse se trouve renfermée dans ce que nous venons de dire. S’il n’y avait point de bourgeois, il ne devait pas non plus y avoir de paysans. Toutefois, nous tenons à suivre encore M. Granier de Cassagnac.

III. — LES PAYSANS.

M. Granier ouvre son chapitre par des plaintes amères sur l’injustice des historiens qui, tout occupés de célébrer les villes et leurs habitans, n’ont pas eu un souvenir pour les pauvres paysans de l’antiquité. « Cependant, ajoute-t-il, les historiens qui se rendaient coupables de cet oubli, qui passaient sur le ventre avec cette indifférence à la moitié du genre humain, auraient dû remarquer, dans leur propre intérêt, que cette lacune jetait au milieu de leurs livres un vague et un décousu irréparables. C’est maintenant à la jeune critique, née de ce siècle, à faire le tour de l’édifice historique que nous ont légué nos pères, à visiter ses trous et ses crevasses, et à le réparer du moins, si elle ne peut pas le rebâtir.

Comme nous sommes de ceux qui pensent que les historiens ne devaient pas du tout faire mention des paysans de l’antiquité, nous allons expliquer en peu de mots les raisons qu’on a eues jusqu’ici pour garder à cet égard le silence le plus absolu. Chacun sait que Rome se forma de l’agrégation de plusieurs petits peuples voisins qu’elle avait soumis par la force ou attirés par des traités dans son alliance. Ces peuples furent divisés en tribus. Servius Tullius, qui régularisa le premier cette division, renferma quatre tribus dans le Pomœrium de Rome, et en établit, dans le champ qui entourait la ville, dix-sept qu’on appela tribus rustiques, pour les distinguer de celles de la ville. Plus tard, aux dix-sept tribus rustiques les consuls en ajoutèrent quatorze nouvelles qu’ils établirent chez les différens peuples d’Italie. Ainsi, le nombre des tribus s’éleva successivement jusqu’à trente-cinq. Comment s’administraient-elles ? Chacune avait son culte, ses fêtes et ses sacrifices ; à cela près, soumises à une administration centrale dont le siége était à Rome, elles supportaient en commun les charges de l’état, le gouvernaient conjointement et jouissaient des mêmes droits et des mêmes priviléges. La campagne était donc cultivée autour de Rome et à une distance assez considérable de cette ville, par une population qui, sous le rapport des prérogatives du citoyen, ne différait en rien de celle de la ville. La distribution du peuple romain et l’administration de son gouvernement ne laissaient donc aucune place aux paysans d’aujourd’hui, et, à plus forte raison, aux paysans du moyen-âge, ceux de M. Granier de Cassagnac.

Mais, dira-t-on, la campagne avait ses affranchis ; or, que devenaient ces