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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/507

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CRITIQUE HISTORIQUE.

position ne signifie qu’une chose, à savoir que tous ceux qui donnaient des leçons de grammaire étaient affranchis. Mais, dans ce cas, il serait sorti de la question, car c’est de littérature et non de métier, c’est de grammairiens ayant écrit sur leur art et non de grammairiens l’ayant seulement enseignée, qu’il a promis de nous parler. Très certainement M. de Cassagnac aura voulu dire que ceux qui écrivaient sur l’art grammatical étaient à peu près tous des affranchis-esclaves. Examinons donc sa proposition ainsi traduite.

Lorsque Cratès a donné la première impulsion littéraire à Rome, en y répandant le goût des études grammaticales, quels sont les Romains que nous voyons d’abord se montrer les plus zélés grammairiens ? Deux chevaliers aussi recommandables par leur savoir que par leur crédit politique, Lucius Aelius et Servius Claudius, qui, au rapport de Suétone, perfectionnèrent et agrandirent dans toutes ses parties l’art de la grammaire[1]… Après eux cet art va se développant sans cesse et croissant chaque jour en faveur, à tel point que les personnages les plus distingués veulent lui payer leur tribut, en écrivant eux-mêmes quelque chose sur ce sujet[2]. » « Bientôt, en effet, Varron, cet homme d’un génie supérieur et d’un savoir universel, reçoit des mains de Lucius Aelius le dépôt de la science grammaticale, l’enrichit à son tour et lui consacre des monumens plus nombreux et plus beaux[3]. » Arrivent ensuite César, qui écrit des livres sur l’Analogie, Pollion, puriste impitoyable, devant qui ne trouvent grace ni César, ni Salluste, ni Cicéron, ni Tite-Live, Messala qui compose des traités entiers, non-seulement sur les mots, mais sur chaque lettre de l’alphabet[4].

Comment donc expliquer après cela qu’on ait osé affirmer que ceux qui écrivaient sur l’art grammatical étaient presque tous des esclaves ? Un soupçon nous a traversé l’esprit ; Schœll dit dans son Histoire de la Littérature romaine : « Cependant la plupart des grammairiens furent des esclaves. » Et ce qui semblerait confirmer encore notre soupçon, si nous étions enclin à mal penser, c’est que Schœll est tombé aussi dans la confusion que nous avons reprochée à M. Granier de Cassagnac : comme ce dernier, il a pris les affranchis pour des esclaves.

Quoi qu’il en soit, nous venons de démontrer que des deux assertions de M. Granier de Cassagnac la première est essentiellement fausse. Examinons la seconde, et voyons si l’auteur était mieux fondé à dire que très peu d’esclaves au contraire devenaient rhéteurs.

La rhétorique, chez les Grecs comme chez les Romains, était réellement distincte de la grammaire, et avait son domaine à part. L’enfant, après avoir étudié entre les mains du grammairien toute la partie matérielle du langage, passait, devenu jeune homme, sous la direction du rhéteur, pour apprendre les artifices de la parole ornée et les secrets de la persuasion. La distinction

  1. Suet., De Illustr. grammat., II, 3.
  2. Ibid., III, 3.
  3. Cic., Brut., 56.
  4. Quintil., I, VII, 35.