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REVUE. — CHRONIQUE.

ment, nous ne lui devons que la justice. Nous ne pouvons donc lui accorder qu’en outre du concours qu’il apporta au ministère de Casimir Périer, il ait toujours résisté à l’entraînement populaire contre les partisans de la dynastie déchue et le clergé. La chute de la croix de Saint-Germain-l’Auxerrois, les désordres qui eurent lieu en cette circonstance, ceux de l’archevêché, ne trouvèrent pas en M. Thiers un adversaire très actif. Il est vrai qu’il a réparé depuis, par nombre d’actes éclatans et méritoires, ce moment d’oubli, dernier tribut payé à sa jeunesse et à l’esprit qui lui dicta quelques pages de l’Histoire de la Révolution ; mais cette erreur, cette seule erreur de conduite ne peut-elle autoriser les adversaires actuels de M. Thiers à supposer qu’il puisse en commettre quelques autres, et avons-nous le droit de les blâmer, quand nous les entendons s’écrier aujourd’hui que M. Thiers se laisse aller à l’enivrement de quelques fumées semblables ? Heureusement, la conduite de M. Thiers au 13 mars, au 11 octobre, au 22 février, nous assure, et nous permet d’affirmer que ses erreurs sont courtes. Hâtons-nous donc de prédire que celle-ci ne sera pas longue, et que la passion cessera bientôt de voiler les grandes et hautes lumières de son esprit éminent.

Enfin, M. Thiers rappelle que le gouvernement de juillet avait à son origine une troisième tâche, celle de résister à l’emportement des esprits, de s’opposer à l’excès des sentimens nationaux, long-temps froissés, et qui venaient de faire explosion. En un mot, il fallait arrêter le mouvement populaire qui tendait à forcer le gouvernement à s’associer aux révolutions soudaines qui éclataient à Bologne, à Bruxelles, à Varsovie. Nous sommes heureux de n’avoir ici à adresser que des éloges à M. Thiers. La tâche dont il parle, il sut la remplir pleinement pour sa part. Il prouva avec courage, à la tribune, que la France ne devait pas déchirer les traités, même défavorables, et que puisqu’elle avait subi avec grandeur et une noble résignation ceux que la fortune des batailles lui avait imposés en 1815, il fallait les respecter encore. Il démontra avec une logique, qui pénétra dans tous les esprits sensés et prévoyans, que ce respect des traités ferait notre force dans l’avenir, que l’Europe s’accoutumerait à prendre confiance dans ce gouvernement nouveau, dont elle se méfiait, et qu’elle voyait avec haine. M. Thiers n’hésita pas à suivre ce système dans toutes ses conséquences. Quand la révolution de Varsovie éclata, il démontra, en outre, que la Pologne était trop éloignée, qu’elle n’était pas dans notre rayon d’action politique ; il développa la carte, montra que cette Pologne est un pays de plaines, qui compte à peine quelques places fortes, et n’hésita pas à conclure que, ni la nature, ni les hommes, ne l’avaient destinée à jouir de la nationalité et de l’indépendance. Plus tard, pour Bologne, et les autres villes des états romains, M. Thiers déclara que la France n’ayant fait la guerre, ni pour reprendre les limites du Rhin, ni pour sauver la Pologne, ne devait pas risquer son avenir tout entier pour avoir le plaisir de donner des constitutions à quelques pe-