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vent. Le repos nous était bien nécessaire à l’un et à l’autre ; et je dois dire que ces derniers jours de l’année, pleins de calme, de fraîcheur et de suavité, dans un des sites les plus magnifiques qu’il soit possible d’imaginer, loin de toute contrainte, et dans la société d’un homme vraiment respectable, furent au nombre des rares beaux jours de ma vie. Cette existence rude et frugale me plaisait, et puis je me sentais un autre homme qu’en arrivant à l’ermitage ; un travail utile, un dévouement sincère, m’avaient retrempé. Mon cœur s’épanouissait comme une fleur aux brises du printemps. Je comprenais l’amour fraternel sur un vaste plan, le dévouement pour tous les hommes, la charité, l’abnégation, la vie de l’ame en un mot. Je remarquais bien quelque puérilité dans les idées de mon compagnon rendu au calme de sa vie habituelle. Lorsque l’enthousiasme ne le soutenait plus, il redevenait capucin jusqu’à un certain point ; mais je n’essayais pas de combattre ses scrupules, et j’étais pénétré de respect pour la foi épurée au creuset d’une telle vertu.

Lorsque l’ordre me vint de retourner au monastère, j’étais un peu malade ; la peur de me voir rapporter un germe de contagion fit attendre très patiemment mon retour. Je reçus immédiatement une licence pour rester dehors le temps nécessaire à mon rétablissement, temps qu’on ne limitait pas et dont je résolus de faire le meilleur emploi possible.

Jusque-là une des principales idées qui m’avaient empêché de rompre mon vœu sous le rapport de la claustration, c’était la crainte du scandale : non que j’eusse aucun souci personnel de l’opinion d’un monde avec lequel je ne désirais établir aucun rapport, ni que je conservasse aucun respect pour ces moines que je ne pouvais estimer ; mais une rigidité naturelle, un instinct profond de la dignité du serment, et, plus que tout cela peut-être, un respect invincible pour la mémoire d’Hébronius, m’avaient retenu. Maintenant que le couvent me rejetait, pour ainsi dire, de son enceinte, il me semblait que je pouvais l’abandonner pour quelque temps sans faire un éclat de mauvais exemple et sans violer mes résolutions. J’examinai la vie que j’avais menée dans le cloître et celle que j’y pouvais mener encore. Je me demandai si elle pouvait produire ce qu’elle n’avait pas encore produit, quelque chose de grand ou d’utile. Cette vie de bénédictin que Spiridion avait pratiquée et rêvée sans doute pour ses successeurs était devenue impossible ; car, bien que des raisons de convenance temporaire, dont le détail t’intéresserait peu, et que j’ai omis à dessein de te raconter, eussent obligé Hébro-