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Or, c’était M. Molé, alors ministre des affaires étrangères, qui avait dit que si un soldat prussien entrait en Belgique, nous y ferions entrer une armée ; mais M. Molé ne pouvait parler que du territoire accordé à la Belgique par les traités, et c’est ainsi que l’entendait également M. Thiers, on le voit par ses paroles. D’où vient donc qu’il conteste aujourd’hui le traité des 24 articles, signé par la France à la demande instante de la Belgique, et par la Belgique elle-même qui refuse de l’exécuter ?

M. Thiers reconnaît aujourd’hui que tel a été son système, en effet, et qu’il a appuyé le système de la résistance pendant huit années ; mais M. Thiers prétend que le système a changé, que la politique des huit années a subi des altérations, des changemens, et que lui étant resté le même, il n’a pas dû s’y associer.

Voyons donc comment M. Thiers, qui demande depuis deux ans l’intervention en Espagne, qui ne veut pas ratifier la convention qui obligeait la France à évacuer les états du pape, en même temps que les évacuaient les Autrichiens, qui ne veut pas qu’on exécute le traité des 24 articles, est le même que l’honorable député et l’écrivain dont nous venons de citer les écrits et les paroles.

« J’ai toujours cru, dit M. Thiers, qu’en toutes choses il y a un terme auquel il faut s’arrêter, qu’on ne doit pousser à bout aucun système politique. J’ai toujours été convaincu que tous les gouvernemens ont péri pour n’avoir point su s’arrêter au point juste où une conduite, de bonne qu’elle était, devient mauvaise, excessive et dangereuse. L’ordre matériel rétabli, le gouvernement devait discerner le moment où son existence n’était plus en péril, où la force publique, reconstituée, était partout prête à obéir, où les partis, avertis de cette disposition, renonçaient à prendre les armes. Ce jour-là, il devait devenir calme, impassible, renoncer à des mesures rigoureuses, désormais sans utilité suffisante. Il avait bien fait, du moins à mon avis, de frapper les associations qui permettaient à une jeunesse exaltée, à des ouvriers égarés, d’organiser publiquement des armées ; il avait bien fait d’interdire à la presse la provocation à la révolte, l’outrage à la personne du roi. Mais quand aucun parti n’osait plus affronter la garde nationale et l’armée, quand la presse, sentant ses propres fautes, était moins provocatrice et moins outrageante, convenait-il d’ajouter des lois à des lois, jusqu’à ce qu’on rencontrât dans les chambres un échec éclatant, celui de la loi de disjonction ? »

M. Thiers s’élève ici, on le voit, contre la politique de M. Guizot et du parti doctrinaire. Il s’est séparé du gouvernement à cause des lois de rigueur que les doctrinaires ont proposées et soutenues ; ce qui lui semble excessif et dangereux, ce qui a commencé de l’éloigner, c’est le système d’intimidation doctrinaire, qui a survécu aux troubles qui l’avaient fait naître et auquel le ministère de l’amnistie a mis fin. Comment donc se fait-il que M. Thiers se trouve aujourd’hui l’allié, l’ami, le soutien des doctrinaires, et qu’il sait l’adversaire le plus ardent du ministère d’amnistie ? Jusqu’à présent, nous