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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/585

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LA PAPAUTÉ AU MOYEN-ÂGE.

vertu de la sanction du pontife romain, fut proclamé roi des Francs. Boniface, archevêque et martyr de bienheureuse mémoire, lui conféra cette dignité par l’onction sainte. Pépin fut élevé sur le trône royal, suivant l’usage des Francs, dans la ville de Soissons ; quant à Childéric, qui portait à tort le nom de roi, on lui coupa la chevelure et on l’enferma dans un monastère[1]. » Cela se passait deux siècles et demi après la victoire de Clovis dans les plaines de Soissons.

Quelle est donc cette puissance morale que le chef d’un grand peuple consulte sur la convenance d’une usurpation, et de laquelle il veut, pour ainsi dire, emprunter le droit, quand il a le fait dans sa main ? Pendant le cours du VIIe siècle, qu’avait inauguré dans Rome l’épiscopat de Grégoire Ier, à la fois écrivain et administrateur, chrétien enthousiaste et homme d’état, ses successeurs acquirent une autorité d’autant plus forte qu’ils ne la définissaient pas eux-mêmes, et qu’elle était invoquée par les docteurs et les églises sans qu’ils eussent besoin de l’imposer les premiers. Voilà pour le dehors. Dans la ville même, un esprit d’indépendance italienne et catholique, que provoquaient les folles réactions de Constantinople contre les images et les excès des Lombards ariens, concourait à établir l’autorité de l’évêque comme chef d’une sorte de république. Un état romain tendait à se former sous la protection du Christ, corpus Christo dilectum, et sous le gouvernement du pape, qu’on disait préposé par Dieu même, à Deo decretus dominus noster. Il y avait donc là des élémens moraux et politiques qui attendaient la fécondation du temps et des occasions heureuses.

Au VIIIe siècle, l’Occident avait deux forces, Rome et les Francs, la religion des Grégoire, l’épée des Carlovingiens, et l’alliance de ces deux forces devait être la source d’une complète puissance. Non-seulement les faits nécessaires arrivent toujours, mais souvent ils se produisent par des incidens dont la physionomie est singulièrement ironique. Qui pousse le pape à s’aboucher avec les Francs ? L’empereur de

    fuerunt in Francia, qui nomen tantum regis, sed nullam potestatem regiam habuerunt. Per quos prædictus pontifex mandavit, melius esse illum regem, apud quem summa potestatis consisteret, dataque auctoritate sua, jussit Pipinum regem constitui. » (Eginhardi Annales de gestis Pipini regis, anno 751. — Recueil des historiens des Gaules et de la France, tom. V, pag. 197.)

  1. « Hoc anno secundum romani pontificis sanctionem Pipinus rex Francorum appellatus est : et ad hujus dignitatem honoris unctus sacra unctione manu sanctæ memoriæ Bonifacii archiepiscopi et martyris, et more Francorum elevatus in solium regni in civitate Suessiona. Hildericus vero, qui falso regis nomine fungebatur, tonso capite in monasterium missus est. » (Ibid.)