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son haut mât surmonté de la flamme guerrière. Ce jour-là, les rues de la petite ville présentaient un tableau inusité. De tous côtés on voyait des matelots portant quelque coffre sur leurs épaules, des voyageurs cherchant une demeure, et des habitans de la ville courant au-devant d’eux avec cet admirable sentiment d’hospitalité dont j’ai déjà parlé plusieurs fois, et que je ne peux assez louer. Toutes les physionomies avaient un air de vivacité qui ne se manifeste que dans les grandes circonstances, et dans toutes les maisons la table était mise. On ne pouvait franchir le seuil d’une porte sans voir briller aussitôt le flacon de vin de Porto sur la nappe effrangée, sans entendre le cliquetis des verres et la joie bruyante d’un cercle de convives qui se souhaitaient réciproquement la bienvenue. Enfin, que dirai-je de plus ? Ce jour-là, dans la bonne cité de Hammerfest, on ne comptait pas moins de quatorze uniformes brodés, dorés, accompagnés du sabre et de l’épaulette. Le matin, on recevait des visites d’étrangers, et le soir, on devait avoir un bal, un bal donné par les officiers de la Recherche. Déjà la salle de M. Bang était revêtue de pavillons de toutes couleurs ; des baïonnettes réunies en faisceau formaient des candelabres tels qu’on n’en avait jamais vu dans cette paisible ville de commerce, et les lames de sabre étincelaient entre les lustres. On avait pensé à revêtir cette salle militaire d’une guirlande de fleurs ; mais la chose fut impossible : tous les vases de porcelaine, où les dames de Hammerfest entretiennent d’une main vigilante le géranium et le réséda, n’auraient pas suffi à faire un bouquet, et les fleurs des montagnes, la violette pâle, la renoncule, commençaient à se faner. Mais le maître cook fit des prodiges. Le punch avait un arôme merveilleux, les confitures auraient fait oublier à un helléniste le miel des abeilles de l’Hymète, et le souper était servi avec une magnificence royale. On dansa jusqu’au matin, et quelques heures après, toute cette fête s’en allait dans le passé comme un rêve. Les étrangers commençaient déjà à faire leurs préparatifs de départ, et nous qui, depuis plusieurs mois, avions vécu d’une même pensée et voyagé dans un même but, nous allions nous trouver bientôt tous dispersés. De vingt personnes composant notre société d’exploration, les uns s’en retournaient en France, d’autres en Norvége, d’autres devaient passer l’hiver à Finmark, et M. Gaimard, M. Robert et moi, nous partions pour la Laponie.

Grace à la constante et inappréciable bienveillance du roi de Suède, nous avions, pour faire ce voyage, un prêtre instruit, un guide excellent, M. Lœstadius, qui a toujours vécu en Laponie, et a traversé plusieurs fois ce pays de long en large, tantôt pour suivre ses études de botaniste, tantôt, pour recueillir des traditions d’histoire et de mythologie. Cependant nous ne passâmes pas devant la Recherche sans un certain sentiment de tristesse. Elle était encore immobile dans le port, appuyée sur son ancre, tandis que le bateau à vapeur sillonnait déjà la vague paisible. Au cri d’adieu que nous lui adressâmes, les officiers accoururent sur la dunette ; les matelots montèrent dans les enfléchures et sur les huniers pour nous saluer encore une fois. Un peu plus loin,