ou sur la surface aplanie des eaux, avaient un aspect romantique dont nous subissions tous le charme. À minuit, nous vîmes une lumière briller entre les bois, et bientôt nous nous arrêtâmes auprès de la maison d’un paysan qui nous accompagnait avec ses chevaux. Un grand feu pétillait dans la cheminée, et des branches de sapin, dispersées sur le plancher, répandaient dans cette demeure champêtre une odeur aromatique. En ce moment, les nuages couvraient entièrement le ciel, la pluie tombait à flots. Nous arrivions assez tôt pour échapper à l’orage et pour sentir le prix d’un asile dans les dangers du froid et de l’obscurité.
Le lendemain, cette maison présentait un joli point de vue. Devant nous s’étendait un lac limpide entouré de bouleaux ; on l’appelle le lac des poissons (Kalajervi). À côté, s’élevait l’habitation du paysan avec un enclos de gazon ; plus loin, un rempart de rocs escarpés portant sur sa cime une longue rangée de pins. L’orage avait cessé. Les rayons du soleil perçaient à travers les brouillards du matin. Les gouttes de pluie scintillaient sur les rameaux d’arbres et les pointes d’herbe. Une jeune fille s’en allait le long de la colline, chassant devant elle la chèvre capricieuse, la génisse rebelle, et le pittoresque ensemble de ces eaux, de ces bois, la fraîcheur de la vallée, le tintement de la clochette du troupeau entre les plantes touffues, la maison de notre hôte pareille à un chalet, me retenaient immobile et silencieux au bord du lac ; et, en promenant mes regards autour de moi, je me demandais si nous étions bien dans le nord au 70e degré de latitude, ou si je n’avais pas été transporté la nuit par enchantement dans un vallon de Franche-Comté. Mais notre guide nous dit de partir, et cette fois il fallait dire adieu à toutes les scènes riantes et animées pour entrer dans le désert de la Laponie.
Bientôt les traces de chemins disparaissent et ne se montrent plus que de loin en loin. Nous passons, en nous courbant sur la croupe de nos chevaux, au milieu d’une forêt d’aulnes et de bouleaux, dont les branches touffues et croisées ou les racines sortant de terre nous arrêtent à chaque pas. Puis nous descendons dans la rivière de Kaafiord. Il fallait voir alors notre caravane se déroulant au milieu des eaux : notre vieux Lapon, le premier, s’avançant d’un pas ferme sur les pierres glissantes ; puis les chevaux de bagage, conduits par les paysans couverts d’un vêtement de cuir ; les chevaux de selle marchant à leur suite, et toute cette troupe suivant les sinuosités de l’onde, tantôt cachée à demi par un groupe d’arbres, tantôt allongée sur une seule ligne, tantôt serpentant comme le cours de la rivière. Après avoir cheminé ainsi pendant plusieurs heures, nous abordâmes au pied d’une montagne qu’il fallait franchir : c’était l’un des passages les plus difficiles de notre route. À peine avions-nous fait quelques pas, que nous fûmes obligés de mettre pied à terre et de tirer nos chevaux par la bride. Pendant ce temps, ceux qui portaient les bagages essayaient de gravir la pente escarpée, et la caravane, naguère encore alignée comme un escadron, ne tarda pas à être dans un complet désordre. Quelques chevaux s’arrêtaient tout court sous la