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L’ABBESSE DE CASTRO.

à la petite Marietta eût suffi pour le succès : elle eût ouvert l’une des portes donnant sur le jardin, et un seul homme paraissant dans les dortoirs du couvent, avec ce terrible accompagnement de coups d’arquebuse entendu au dehors, eût été obéi à la lettre. Au premier coup de feu, Hélène avait tremblé pour les jours de son amant, et n’avait plus songé qu’à s’enfuir avec lui.

Comment peindre son désespoir lorsque la petite Marietta lui parla de l’effroyable blessure que Jules avait reçue au genou et dont elle avait vu couler le sang en abondance ? Hélène détestait sa lâcheté et sa pusillanimité : — J’ai eu la faiblesse de dire un mot à ma mère, et le sang de Jules a coulé ; il pouvait perdre la vie dans cet assaut sublime où son courage a tout fait.

Les bravi admis au parloir avaient dit aux religieuses, avides de les écouter, que de leur vie ils n’avaient été témoins d’une bravoure comparable à celle du jeune homme habillé en courrier qui dirigeait les efforts des brigands. Si toutes écoutaient ces récits avec le plus vif intérêt, on peut juger de l’extrême passion avec laquelle Hélène demandait à ces bravi des détails sur le jeune chef des brigands. À la suite des longs récits qu’elle se fit faire par eux et par les vieux jardiniers, témoins fort impartiaux, il lui sembla qu’elle n’aimait plus du tout sa mère. Il y eut même un moment de dialogue fort vif entre ces personnes qui s’aimaient si tendrement la veille du combat ; la signora de Campireali fut choquée des taches de sang qu’elle apercevait sur les fleurs d’un certain bouquet dont Hélène ne se séparait plus un seul instant.

— Il faut jeter ces fleurs souillées de sang.

— C’est moi qui ai fait verser ce sang généreux, et il a coulé parce que j’ai eu la faiblesse de vous dire un mot.

— Vous aimez encore l’assassin de votre frère ?

— J’aime mon époux qui, pour mon éternel malheur, a été attaqué par mon frère.

Après ces mots, il n’y eut plus une seule parole échangée entre la signora de Campireali et sa fille, pendant les trois journées que la signora passa encore au couvent.

Le lendemain de son départ, Hélène réussit à s’échapper, profitant de la confusion qui régnait aux deux portes du couvent par suite de la présence d’un grand nombre de maçons qu’on avait introduits dans le jardin et qui travaillaient à y élever de nouvelles fortifications. La petite Marietta et elle s’étaient déguisées en ouvriers. Mais les bourgeois faisaient une garde sévère aux portes de la ville.