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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/641

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L’ABBESSE DE CASTRO.

rière qui était devenue maintenant l’extrémité de l’aile des nouveaux bâtimens construits par ses ordres. Cette fenêtre n’était pas élevée de plus de deux pieds au-dessus du passage arrosé jadis du sang de Jules et qui maintenant faisait partie du jardin. Hélène avait les yeux profondément fixés sur la terre. Les trois dames que l’on savait depuis quelques heures être portées sur la liste du cardinal pour succéder à la défunte abbesse, vinrent à passer devant la fenêtre d’Hélène. Elle ne les vit pas, et par conséquent ne put les saluer. L’une des trois dames fut piquée et dit assez haut aux deux autres :

— Voilà une belle façon pour une pensionnaire d’étaler sa chambre aux yeux du public !

Réveillée par ces paroles, Hélène leva les yeux et rencontra trois regards méchans. — Eh bien ! se dit-elle en fermant la fenêtre sans saluer, voici assez de temps que je suis agneau dans ce couvent, il faut être loup, quand ce ne serait que pour varier les amusemens de messieurs les curieux de la ville.

Une heure après, un de ses gens, expédié en courrier, portait la lettre suivante à sa mère, qui depuis dix années habitait Rome et y avait su acquérir un grand crédit.


« Mère très respectable,

« Tous les ans tu me donnes 300,000 francs le jour de ma fête ; j’emploie cet argent à faire ici des folies, honorables à la vérité, mais qui n’en sont pas moins des folies. Quoique tu ne me le témoignes plus depuis long-temps, je sais que j’aurais deux façons de te prouver ma reconnaissance pour toutes les bonnes intentions que tu as eues à mon égard. Je ne me marierai point, mais je deviendrais avec plaisir abbesse de ce couvent ; ce qui m’a donné cette idée, c’est que les trois dames que notre cardinal Santi-Quatro a portées sur la liste par lui présentée au saint-père, sont mes ennemies ; et, quelle que soit l’élue, je m’attends à éprouver toutes sortes de vexations. Présente le bouquet de ma fête aux personnes auxquelles il faut l’offrir ; faisons d’abord retarder de six mois la nomination, ce qui rendra folle de bonheur la prieure du couvent, mon amie intime, et qui aujourd’hui tient les rênes du gouvernement. Ce sera déjà pour moi une source de bonheur, et c’est bien rarement que je puis employer ce mot en parlant de ta fille. Je trouve mon idée folle ; mais, si tu vois quelque chance de succès, dans trois jours je prendrai le voile blanc, huit années de séjour au couvent, sans découcher, me donnant droit à