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L’ABBESSE DE CASTRO.

autrefois arrivés dans notre famille, mais dont je me repens et que je te prie de me pardonner : Jules… Branciforte… est vivant…

— Et c’est parce qu’il vit que je ne veux pas vivre.

La signora de Campireali ne comprenait pas d’abord le langage de sa fille, puis elle lui adressa les supplications les plus tendres ; mais elle n’obtenait pas de réponse : Hélène s’était tournée vers son crucifix et priait sans l’écouter. Ce fut en vain que pendant une heure entière la signora de Campireali fit les derniers efforts pour obtenir une parole ou un regard. Enfin, sa fille, impatientée, lui dit :

— C’est sous le marbre de ce crucifix qu’étaient cachées ses lettres, dans ma petite chambre d’Albano ; il eût mieux valu me laisser poignarder par mon père ! Sortez, et laissez-moi de l’or.

La signora de Campireali voulant continuer à parler à sa fille, malgré les signes d’effroi que lui adressait son écuyer, Hélène s’impatienta.

— Laissez-moi, du moins, une heure de liberté ; vous avez empoisonné ma vie, vous voulez aussi empoisonner ma mort.

— Nous serons encore maîtres du souterrain pendant deux ou trois heures ; j’ose espérer que tu te raviseras, s’écria la signora de Campireali fondant en larmes. Et elle reprit la route du souterrain.

— Ugone, reste auprès de moi, dit Hélène à l’un de ses bravi, et sois bien armé, mon garçon, car peut-être il s’agira de me défendre. Voyons ta dague, ton épée, ton poignard !

Le vieux soldat lui montra ces armes en bon état.

— Eh bien ! tiens-toi là en dehors de ma prison ; je vais écrire à Jules une longue lettre que tu lui remettras toi-même ; je ne veux pas qu’elle passe par d’autres mains que les tiennes, n’ayant rien pour la cacheter. Tu peux lire tout ce que contiendra cette lettre. Mets dans tes poches tout cet or que ma mère vient de laisser, je n’ai besoin pour moi que de cinquante sequins ; place-les sur mon lit.

Après ces paroles, Hélène se mit à écrire.

« Je ne doute point de toi, mon cher Jules ; si je m’en vais, c’est que je mourrais de douleur dans tes bras, en voyant quel eût été mon bonheur si je n’eusse pas commis une faute. Ne va pas croire que j’aie jamais aimé aucun être au monde après toi ; bien loin de là, mon cœur était rempli du plus vif mépris pour l’homme que j’admettais dans ma chambre. Ma faute fut uniquement d’ennui, et, si l’on veut, de libertinage. Songe que mon esprit, fort affaibli depuis la tentative inutile que je fis à la Petrella, où le prince que je vénérais, parce que tu l’aimais, me reçut si cruellement ; songe, dis-je, que