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toute seule. Mme Norton, que la société de Londres a récemment punie d’une imprudence non prouvée et d’un mariage mal assorti, femme ingénieuse, belle et distinguée, a trouvé un tour de versification plus ferme et une forme plus précise que ses émules. Miss Landon, dont les initiales (L. E. L.) ont acquis une célébrité d’annuaires, se rapproche de Moore pour la souplesse brillante de l’inspiration. Felicia Hemans, qui n’existe plus, leur est supérieure ; du moins aborde-t-elle franchement ce genre de poésie : elle ne prétend chanter que les affections ; elle y réussit souvent ; ses accens ne manquent ni de douceur ni d’abondance. Après l’avoir écoutée avec un plaisir qui n’est pas l’étonnement, encore moins l’enthousiasme, mais dont le charme berce l’ame et quelquefois la pénètre, vous finissez par trouver que la colombe murmure et gémit trop long-temps, que ce parfum émané de l’ame l’enivre et l’assoupit, et vous regrettez qu’un travail plus savant, en concentrant la pensée, n’ait pas assuré la durée et augmenté la solidité de l’œuvre.

Les poètes de la génération antérieure ne relevaient que d’eux-mêmes ; créateurs de leur talent, ils avaient rompu avec les habitudes de Thomson, d’Akenside, de Gray, de Collins, et rejeté, non sans mépris, les exemples de Hayley et de Darwin, leurs prédécesseurs immédiats. Cowper était le seul poète du XVIIIe siècle dont ils ne répudiassent pas l’héritage. Aujourd’hui que cette pléiade des Byron et des Wordsworth s’est effacée, elle brille encore d’un reflet dont ses imitateurs font leur parure : reflet qui a coloré même le drame. L’étude de Shakspeare, ou plutôt son culte, n’ont point rendu au théâtre anglais sa robuste vie. Les tragi-comédies de Sheridan Knowles, de Bulwer, de Shiel, mélodrames bien ou mal faits, œuvres d’un soir qui n’a pas de lendemain, manquent surtout de réalité, d’observation, d’énergie et de naturel. Wordsworth, réfugié dans la solitude vénérable de sa vieillesse, est le véritable dieu poétique que le drame anglais honore à son propre insu : c’est son analyse sentimentale, sa rêverie diffuse et touchante, sa méditation sur les douleurs de la vie commune, qui, pénétrant dans la sphère dramatique, ont remplacé par une atmosphère élégiaque l’air vital de la scène : incurable défaut né de la vieillesse de l’art. La variété des décorations et leur richesse, les édits du parlement, les enquêtes ordonnées sur l’état du théâtre, ne rendront pas la verdeur et la virilité à ce faible et douloureux vieillard. On peut le faire opulent, philosophique, lamentable, lui prêter une activité galvanique, ou même je ne sais quelle faconde idyllique ; le vieillard brisé ne se relève pas.