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les pensées purent se manifester sans avoir à redouter les mutilations de la censure, et le despotisme lui-même rendit hommage à la liberté de la presse.

Durant les deux ou trois années, où, sur les demandes du parlement et de l’assemblée des notables, la convocation des états-généraux devint en France un objet d’espoir pour le plus grand nombre, de crainte pour quelques privilégiés, une foule de brochures ignorées aujourd’hui parurent sur toutes les questions du moment ; il en fut de même en Hongrie. Les réformateurs et les amis du passé préludèrent par leurs écrits à la lutte dont la diète devait être l’arène. Les magnats nourris de la lecture des économistes et des philosophes du XVIIIe siècle, les jeunes nobles élevés dans les universités étrangères, les légistes et les bourgeois des villes, composaient un parti dont les principes et les vœux furent soutenus avec talent par M. de Széchényi. On ne lira pas, je crois, sans intérêt, quelques fragmens d’un ouvrage publié par le comte à la fin de 1830. Le passage que nous allons citer offre un tableau vivement tracé de l’esprit public de la Hongrie :

« Chacun veut améliorer, chacun désire voir s’élever un bel édifice, mais chacun prétend poser la première pierre sans s’inquiéter des autres ouvriers. — Ah ! dit l’un, quand donc sera percée la chaussée de Fiume ? — Ne vaudrait-il pas mieux jeter un pont entre Pesth et Bude ? répond un autre. — Ayons un théâtre et des pièces en hongrois, ou la langue se perdra, et la nationalité avec elle[1]. — Si nos magnats, s’écrie-t-on d’un autre côté, n’allaient point manger leurs revenus et se corrompre à l’étranger ? Mais ces grands seigneurs croiraient compromettre leur dignité en se coudoyant aux assemblées des comitats avec la pauvre noblesse ! D’autres regrettent les costumes de nos pères. Où sont leurs pesantes armures ? — Malheureuse Hongrie, murmurent ces amans du passé, tout en chantant l’air de la bataille de Mohacz, le jour de cette défaite fut le dernier de ta gloire ! — Ayons de belles rues, des trottoirs et des réverbères ; tel est le cri d’une autre opinion. Que Pesth soit bien éclairée, le reste se fera. N’oublions pas les promenades et plantons le quai du Danube. — Il y a aussi des esprits positifs. C’est le papier-monnaie qui nous ruine, disent-ils, il nous faudrait de beaux ducats frappés avec notre or de Kremnitz. Mais où sont ces ducats ? Que de nobles Hongrois ont oublié leur couleur ! — Non, réplique un autre, non, ce n’est pas cela ;

  1. Ce vœu a été rempli ; j’ai vu représenter à Pesth la Christine de M. Alex. Dumas, traduite en hongrois.