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HISTOIRE DE FRANCE.

puissant intérêt de sa narration et de la nouveauté de ses aperçus, pour avoir allégué leurs autorités ?

Nous avons terminé une désagréable tâche, celle de signaler les imperfections que l’humaine faiblesse laisse inévitablement dans toutes ses œuvres. Donnons maintenant au travail de M. Bazin les éloges qu’il mérite. Son livre est composé dans un rare esprit d’impartialité, de mesure, de justesse. Il ne se constitue ni le panégyriste, ni le détracteur des hommes et des choses, avec l’intention de faire triompher une opinion ou un système arrêtés d’avance. Il ne juge pas et ne condamne pas, avec les idées du XIXe siècle, les opinions et les actes des hommes, les institutions et le gouvernement du commencement du XVIIe. Il sait que chaque temps a ses qualités et ses défauts ; il reproduit les uns et les autres avec intelligence et modération, et ne leur impute point à crime de n’être pas plus modernes qu’ils ne sont. Il ne cherche pas non plus dans les faits autre chose que ce qu’ils contiennent, et ne les tourmente pas jusqu’à ce qu’ils aient produit l’extraordinaire et le bizarre. La composition et la narration de M. Bazin sont sages : il se garde bien d’en élaguer tout ce qui ne fait pas de l’effet, de réduire son tableau aux seules couleurs tranchées, de présenter un jeu de cartes où l’on n’aurait laissé que les figures. Le temps, les découvertes, les publications successives ont mis à la disposition des auteurs de nos jours des renseignemens qui ont manqué à leurs prédécesseurs. Entre ces nombreux secours, je ne citerai que les dix volumes des Mémoires de Richelieu, publiés pour la première fois en 1823, ouvrage du plus grand intérêt, où l’histoire est racontée par celui qui l’a faite ou dirigée. M. Bazin s’est servi habilement de ces nouveaux documens, sans négliger les anciens. Il n’a pas pris peut-être tout ce qu’ils contiennent de curieux et d’important ; mais il s’en est approprié assez pour jeter une vive lumière sur plusieurs parties du règne de Louis XIII et du ministère de Richelieu, et pour donner à son livre le mérite de la nouveauté. Il choisit ses matériaux avec discernement et critique. Au lieu de se jeter dans les particularités sans intérêt où se noient Levassor et Griffet, au lieu de transcrire en entier, comme eux, les documens qu’il a sous les yeux, M. Bazin n’y prend que ce qu’il y trouve de vraiment important. Une ligne, un mot de lui, disent autant et quelquefois plus qu’une page in-quarto du réfugié et du jésuite. Enfin sa narration, toujours claire et attachante, est relevée souvent par des traits d’un esprit de bon aloi et d’une originalité sans affectation. En résumé, un homme d’infiniment d’esprit et de tact a employé utilement dix années de sa vie sur un sujet de la plus haute importance.


Aug. Poirson.