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REVUE LITTÉRAIRE.

la donnée choisie par Mme Ancelot. Dès que M. Simon entre en scène, l’intérêt languit, l’attention est distraite, la curiosité fait place à l’impatience. D’ailleurs ses remords choisissent parfois pour se révéler de singulières occasions. Ainsi, par exemple, au moment où il retrouve sa fille, qu’il croyait perdue sans retour, au moment où il la surprend en tête-à-tête avec le duc de Mauléon, qui l’a sauvée du suicide, il oublie la joie que doit lui causer le salut de sa fille, l’inquiétude que doit lui inspirer son honneur. Pourquoi ? Pour raconter son histoire au duc de Mauléon. Je ne connais rien de comparable à cette scène, si ce n’est le Thésée de Sénèque demandant comment était fait le monstre.

Ellénore, fille de M. Simon, ressemble à toutes les jeunes filles amoureuses et dédaignées ; sa pâleur et ses larmes réussissent difficilement à nous attendrir, car elle paraît assez souvent pour troubler le bonheur de Gabrielle, et trop rarement pour nous faire comprendre ses souffrances. J’adresserai le même reproche aux regrets et à la perfidie de Mme de Savigny. Ce dernier personnage est assez méchant pour mériter notre haine ; mais nous avons peine à comprendre sa méchanceté, car nous n’avons pas assisté à ses souffrances, et nous ne voyons en lui que le type de la vengeance et de la lâcheté.

Je ne dis rien de George Rémond, cousin de Gabrielle, ni de Henri de Marcenay, compagnon de plaisir d’Yves de Mauléon, car ces deux personnages sont plus qu’épisodiques ; ils pourraient disparaître impunément ; personne ne songerait à signaler leur absence.

La fable inventée par Mme Ancelot manque surtout de rapidité. Chaque chapitre pris en lui-même n’a rien de languissant, mais comme chacun de ces chapitres est précédé d’un exorde particulier, le récit marche lentement. Les différens momens de l’action ne sont pas unis entre eux assez étroitement. L’auteur a la respiration courte et reprend haleine sans aucun artifice. C’est là certainement un défaut très grave ; malheureusement ce n’est pas le seul que nous ayons à signaler dans le roman de Mme Ancelot. Les scènes qui préparent le mariage d’Yves et de Gabrielle sont généralement remplies de lieux communs. Après une conversation entre la marquise de Fontenay-Mareuil et le comte de Rhinville sur la ruine de la noblesse et la déchéance politique des femmes, nous avons une conversation entre Ellénore et Gabrielle sur les mensonges du monde, sur l’avenir des jeunes filles sincères, sur la jalousie des femmes entre elles, sur la beauté, sur les passions, sur la sécheresse de cœur. Tous ces sujets n’ont rien d’absolument ingrat, mais il faudrait pour les animer, pour les rajeunir, une délicatesse, une vivacité, dont Mme Ancelot ne possède pas le secret. Le chapitre qu’elle a nommé : Confidences de jeunes filles, est écrit d’un style lourd et pâteux, avec une grande prétention à la légèreté ; et sans la signature insérée à la première page du livre, nous ne croirions jamais que ces confidences eussent été tracées par la plume d’une femme : car elles n’apprennent rien aux hommes, et je suis sûr que les pensionnats et les couvens de jeunes filles n’ont jamais rien dit de pareil