chercher sous ces dehors frivoles la passion vraie, éternelle, humaine, abolir l’analyse, exagérer le sentiment, se prendre à l’amour, à la jalousie, aux larmes, remplacer la satire et le pamphlet par la poésie et la musique ; faire, en un mot, ce qu’a fait Mozart. C’est au point que sans la musique, l’œuvre de Beaumarchais reste incomplète et dans l’ombre ; on sent qu’il y manque ce qu’un écrivain français du XVIIIe siècle ne pouvait y mettre, ce que nul, sans Mozart, n’aurait jamais soupçonné dans un pareil sujet : la poésie. En effet, lorsqu’une fois on a eu vent de toute cette adorable mélodie, il est impossible d’écouter Beaumarchais sans regretter Mozart, sans qu’il vous revienne à tout instant le souvenir de ces innombrables motifs, si frais, si doux, si merveilleux, qui s’exhalent de la voix ou du cœur, comme de suaves bouffées d’oranger ou d’aloès. Tantôt c’est la scène de la clé, au second acte, qui vous rappelle les émotions si puissantes de la musique ; tantôt un mot spirituel qui réveille l’idée du ravissant duo entre la comtesse et Suzanne, et, je le demande, quel mot d’esprit vaut un pareil chef-d’œuvre ? Quant à moi, cette idée de la musique, dont je ne puis me garder en écoutant la comédie, ce souvenir de Mozart qui me poursuit jusque dans la salle du Théâtre-Français, suffirait pour me convaincre qu’au fond l’œuvre de Beaumarchais est incomplète. Jamais, lorsque je vois le Maure de Venise, il ne m’arrive de penser à la musique de Rossini. Sans doute, parce que le chef-d’œuvre de Shakespeare est harmonieux en tout point, parce que rien n’y manque, ni la poésie, ni l’action, ni les caractères, et que la musique, en s’emparant de l’idée du poète, l’a tout simplement transformée à son profit, mais sans y rien ajouter. Or, il n’en est pas ainsi du Mariage de Figaro, l’idée de Beaumarchais a grandi, par la seule puissance de Mozart, jusqu’à la poésie, jusqu’au sublime, et, certes, il n’y a pas de quoi s’étonner si l’esprit vous paraît mesquin, lorsqu’il revient à sa forme première, après une transfiguration si glorieuse. Là, en effet, la musique inonde la prose de toutes les clartés de la poésie, tellement qu’on en subit l’action, même sans pouvoir s’en rendre compte. Étrange destinée de la pièce de Beaumarchais, qui semble ne trouver son succès qu’en dehors d’elle-même. Le scandale la fait réussir, la musique l’immortalise. Dans cette œuvre de l’esprit et de la satire, Mozart a découvert la forme calme et la pure beauté. Je n’hésite pas à le dire, dussé-je être accusé de paradoxe, tous ces caractères charmans, que l’on aime et que l’on cite à tout propos, n’existeraient point pour nous sans Mozart. Ainsi Beaumarchais a bien entrevu le petit page épris de sa cousine, comme, du reste, ils le sont naturellement tous ; mais cet amoureux de quinze ans, timide comme une jeune fille, et lascif comme un oiseau, cet enfant gracieux, rêveur, mélancolique, fou, qui tressaille et palpite, prend toutes les fleurs, tous les baisers, tous les rubans qui se rencontrent ; cet espiègle adorable, qui parle au bois, au brin d’herbe, au ruisseau, et qui se meurt d’amour, Chérubin en un mot, qui donc l’a créé, si ce n’est Mozart ? Écoutez cet air, non so piu cosa son. Quelle ivresse ! quel feu ! quels transports ! Il y a des larmes, des sanglots, des désirs, des battemens de cœur dans cette musique, et dans la romance, que de grace rêveuse, que d’ineffable mélancolie, que d’élégiaque langueur !
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