à une détresse absolue, il dut borner son ambition à demander une prébende laïque, dans l’église de Spire ; n’ayant pu l’obtenir, il alla mourir à Liége. On l’avait enseveli sans pompe ; Pascal II ordonna que son corps fût déterré, et ses dépouilles restèrent pendant cinq ans privées de sépulture ; si plus tard on les descendit dans les caveaux de Spire, c’est que l’empereur Henri V n’était plus en bonne intelligence avec le pape. Les deux champions de l’église et de l’empire eurent donc le même sort ; tous deux moururent dans le malheur et dans l’exil, expiant ainsi l’éclat de leur lutte et la violence de leurs passions. Mais si Grégoire VII et Henri IV arrivaient à se ressembler par leurs malheurs ; les causes qu’ils soutinrent étaient loin d’avoir la même fortune. L’église triomphait : sa domination spirituelle, son autorité générale, s’établissaient tous les jours ; elle était reconnue de plus en plus comme le lien commun des peuples, comme l’expression une et suprême de la pensée de Dieu, du christianisme.
La preuve de cet état nouveau de l’Europe ne se fit pas attendre ; dix ans après la mort de Grégoire VII, le mouvement des croisades éclata. Il était depuis long-temps dans la pensée de quelques hommes ; Silvestre II, Hildebrand lui-même avaient conçu d’employer la force de tous les chrétiens pour délivrer le tombeau du Christ ; mais comment exécuter ce grand dessein ? Au Xe siècle, rien n’était possible ; au milieu du XIe, tout n’était pas mûr. Enfin, sur la provocation de Constantinople, de l’empereur grec qui sollicite le secours des Latins, qui se plaint d’être menacé par les Turcs, qui invoque les saintes reliques, et vante en même temps la beauté des femmes grecques, on commence à s’émouvoir en Europe, non pas tant en Italie qu’en France. D’ailleurs, les malheurs de Jérusalem avaient été vus et constatés par des pèlerins. Le patriarche Siméon avait exercé une influence décisive sur un Français, nommé Pierre, qui, de retour en Europe, alla se jeter aux pieds d’Urbain II pour lui demander justice des souffrances et des opprobres de Sion, tant désormais le pape était considéré comme le juge suprême de la chrétienté ! — La puissance de la religion s’affermissait aussi par de nouveaux établissemens. À côté des Bénédictins dont les congrégations de Cluny, des Camaldules, de Vallombreuse et de Citeaux prospéraient, s’élevaient l’ordre des Chartreux, fondé par Bruno de Cologne, l’ordre des Antonins, celui de Grand-Mont dans le Limousin. Dans les autres pays de l’Europe où le christianisme était plus nouveau, ses progrès n’étaient pas moins sensibles. En Pologne, Casimir Ier rétablissait la foi chrétienne ; la Russie depuis Wladimir-le-Grand renonçait aux