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cerdoce et l’empire, entre la hiérarchie ecclésiastique et la constitution féodale.

La France allait, au XIIe siècle, sortir de son obscurité, et entrer en partage de cette illustration que l’Allemagne, l’Angleterre et l’Italie devaient aux empereurs, à Guillaume-le-Conquérant et à Grégoire VII. La royauté réussissait à réduire quelques vassaux, et les communes commençaient à conquérir leurs franchises. À côté de ces résultats politiques, les luttes de la religion et de la science s’élèvent : le Breton Abailard, qui était entré à Paris la première année du XIIe siècle, explique la théologie par la dialectique, met en balance Aristote avec Jésus-Christ, et compare les trois personnes de la trinité aux divers termes d’un syllogisme, explication que de nos jours Hegel a reproduite. À trente-neuf ans, ses passions s’allument, et auprès de lui Héloïse devient le type de la femme s’approchant de la science par l’amour. En face de cet homme chez qui éclatèrent avec tant d’audace toutes les ardeurs de l’esprit et des passions, l’église avait besoin d’un puissant défenseur ; elle le trouva dans Bernard ; ce moine de vingt-deux ans, doué tout ensemble d’une mysticité infinie, d’une activité politique inépuisable, prit sur l’Europe l’autorité d’un pape, tout en restant abbé de Clairvaux. Le premier écrit que composa Bernard traita des degrés de l’humilité, vertu par laquelle l’homme devient méprisable à lui-même ; il rédigea aussi une exhortation aux templiers sur la demande de leur premier grand-maître, et il y disait qu’il était merveilleux d’avoir réuni le caractère du moine et du soldat. Le pape le consultait comme un oracle, et l’employait comme un ministre : il l’envoya à Salerne pour rétablir la paix entre Roger, roi de Sicile, et Rainulf, duc de la Pouille. Bernard était revenu dans sa solitude de Clairvaux, quand il reçut une dénonciation touchant les écrits et les doctrines d’Abailard : il le fit avertir, il le vit même, lui parla avec douceur ; mais le philosophe, malgré une première condamnation encourue dix-huit ans auparavant au concile de Soissons, demanda à défendre lui-même ses livres au concile de Sens. Bernard s’y rendit ; le roi de France était témoin ; on pressa Abailard de parler, mais il en appela au pape et garda le silence. Bernard écrivit à Innocent II, il lui raconta ce qui s’était passé ; il lui manda qu’Abailard relevait les philosophes et abaissait les docteurs de l’église, qu’il cumulait les erreurs d’Arius, de Pélage et de Nestorius ; enfin, il le signalait comme étant d’accord avec Arnauld de Brescia, son disciple, pour conspirer contre le christianisme : Magister Petrus (Abœlardus), et Arnaldus,