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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/127

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LA PAPAUTÉ AU MOYEN-ÂGE.

jeune homme, épiait toujours le moment d’être l’instrument heureux des passions de son pays. On sait que les croisés ne purent tenir les conditions stipulées, et que Dandolo leur proposa de se racheter par la conquête de Zara, que le roi de Hongrie avait enlevé à la république. Ils acceptèrent cette façon militaire de payer leurs dettes, et ils emportèrent une ville chrétienne, malgré la défense du pape.

Quel changement dans les cœurs ! quelle altération de la foi ! Voilà les croisés devenus des espèces de condottieri, prêtant leur épée même contre des chrétiens, et n’étant plus sensibles qu’au plaisir de la guerre, sans plus songer à Jérusalem. En vain les bourgeois de Zara ont suspendu des crucifix aux murs de la ville, en vain le pape a transmis aux croisés par ses légats les plus expresses défenses, les croisés ne respectèrent pas plus l’image de Dieu que son vicaire, et ils pillèrent la ville la plus riche de la Dalmatie. « Satan vous a poussés à porter vos premières armes contre un peuple chrétien, leur écrivit Innocent quand il apprit la prise de Zara ; vous avez offert au diable les prémices de votre pèlerinage. Vous n’avez dirigé votre expédition ni contre Jérusalem, ni contre l’Égypte. La vénération pour la croix que vous portez, l’estime pour le roi de Hongrie et pour son frère, l’autorité du siége apostolique, qui vous avait envoyé des ordres précis, auraient dû vous détourner d’un pareil crime. Nous vous exhortons à ne pas continuer la destruction au-delà de ce qui est déjà fait, à restituer tout le butin aux envoyés du roi de Hongrie, sans quoi vous serez déclarés passibles de l’excommunication que vous avez méritée, et déchus de tous les bienfaits de la croisade qui vous sont promis. » Les princes français reconnurent leur faute, et envoyèrent à Rome le savant maître Jean de Noyon et deux chevaliers pour apaiser le pape, qui accepta leur repentir, faute de mieux. Mais d’autres déplaisirs attendaient Innocent ; il apprit par son légat le traité que les croisés venaient de conclure avec Alexis pour remettre ce dernier en possession du trône de Byzance. Il se hâta de leur écrire. « Vous ne devez pas vous imaginer, leur mandait-il, qu’il vous soit permis d’attaquer l’empire grec, parce que cet empire ne reconnaît pas le siège apostolique, ou parce que l’empereur a précipité son frère du trône. Vous n’êtes pas juges de ces faits, et vous avez pris la croix pour venger, non cette injustice, mais l’injure faite au Christ. Nous vous exhortons sérieusement à renoncer à cette entreprise, et à vous diriger, sans commettre aucune violence, sur la terre sainte ; sinon, nous ne pouvons vous assurer le pardon. » Vaines remontrances ! l’armée chrétienne n’aspirait plus à Jérusalem, mais à Constantinople, à