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tique. Il dit au roi que son devoir lui commandait de se lever, d’employer la force qui lui avait été accordée par Dieu, et, s’il ne pouvait marcher en personne contre les impies, d’envoyer son fils ou tout autre personnage puissant. Un jour il lui écrivit avec une éloquente vivacité : « Levez-vous, et jugez ma cause ! Ceignez l’épée ! Veillez sur l’unité entre la royauté et le sacerdoce : unité désignée par Moïse et par Pierre, et les pères des deux Testamens. Ne laissez pas l’église faire naufrage dans ces contrées ! Courez à son secours ! Combattez avec l’épée les hérétiques, qui sont encore plus dangereux que les Sarrasins. »

La croisade contre les Albigeois est racontée par M. Hurter de la manière la plus détaillée ; sa narration est attachante, puisée à toutes les sources contemporaines, impartiale, sympathique pour les opprimés, mais exposant avec justice la raison des choses ; elle dégage Innocent III d’une responsabilité qui serait inique, si on voulait lui imputer les excès et les emportemens du farouche Montfort. Nous regrettons que l’historien suisse n’ait pu profiter, dans la rédaction de son travail, d’un poème historique récemment édité par le savant M. Fauriel[1] ; il y aurait trouvé des descriptions dont la dramatique réalité eût prêté à ses pages de nouvelles couleurs. Mais il résulte du récit de notre historien que si le pape Innocent a pris l’initiative de cette croisade, s’il a provoqué Philippe-Auguste et le terrible Montfort, il n’a jamais autorisé et a souvent ignoré les rigueurs excessives de ses légats et les cruautés de l’armée catholique. Quant au fond des choses, à l’idée d’extirper l’hérésie, elle est si naturelle, qu’on s’étonnerait qu’elle n’eût pas animé ce grand pape. Rome ne pouvait consentir à l’hérétique indépendance de Toulouse, Paris pas davantage, et dans leur entreprise combinée contre le midi de la France, Innocent III et Philippe-Auguste furent les agens légitimes et nécessaires, le premier, de la religion pour remettre de coupables dissidens sous le joug de l’unité ; le second, de la monarchie pour attirer à elle ces précieuses et belles provinces.

L’Allemagne et l’Angleterre occupèrent beaucoup Innocent pendant les dernières années de sa vie. Oubliant la persévérance avec laquelle Innocent l’avait soutenu contre les usurpations et les menaces de Philippe de Souabe, son ancien rival, l’empereur Othon s’était mis à envahir en Italie les possessions de l’église ; il reprenait toutes

  1. Histoire de la Croisade contre les hérétiques albigeois, écrite en vers provençaux par un poète contemporain, traduite et publiée par M. Fauriel, 1837.