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REVUE. — CHRONIQUE.

rieusement des bois à défricher, des terres à mettre en culture, des ports à vivifier par le commerce. Voilà le spectacle imposant que présentent aujourd’hui les États-Unis, depuis l’embouchure du Mississipi jusqu’aux bords du Saint-Laurent ! Quoique moins avides d’espace, vous pensez bien que les Anglais du Nouveau-Brunswick ne se sont pas endormis en présence d’un pareil mouvement sur leurs frontières. Ils ont donc fait aussi leurs préparatifs de défense. Mais, s’il faut l’avouer, la partie, en cas de guerre, n’aurait pas été égale. Le nouveau-Brunswick, qui n’avait pris aucune part aux troubles des deux Canadas, était dégarni de troupes régulières ; la milice n’y est pas nombreuse, la population inférieure des trois quarts à celle du Maine ; et tandis que celui-ci aurait été soutenu par l’état si riche du Massachusetts et par les ressentimens de l’état de Vermont contre les autorités britanniques du Canada, la Nouvelle-Écosse aurait pu seule secourir efficacement sir John Harvey, car c’est à peine si l’on aurait pu détacher de Quebec un ou deux régimens à son aide, sans compromettre la tranquillité si difficilement rétablie de ce côté. Mais, jusqu’à présent du moins, tout s’est passé en préparatifs d’attaque ou de défense, qui probablement n’auront pas d’autre suite.

En effet, malgré l’indépendance théorique et pratique dont jouissent individuellement les états de l’Union américaine, le gouvernement fédéral avait bien son mot à dire et son action à exercer dans cette conjoncture. D’ailleurs, le ministre d’Angleterre à Washington, M. Fox, avait aussitôt saisi de la question le secrétaire d’état, M. Forsyth, par une note du 23 février, dans laquelle il invoquait l’intervention officielle du pouvoir central, pour engager le gouverneur du Maine à se désister de ses prétentions et à rappeler ses troupes. C’est dans ce document que se trouve avancée de la part de l’Angleterre une prétention un peu hasardée, je le crois, à la juridiction exclusive sur le territoire contesté en vertu d’un arrangement positif (by explicit agreement) entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. Or, ce droit de juridiction paraît être aussi contestable et aussi contesté que la propriété même du territoire sur lequel il devrait s’exercer. L’arrangement explicite allégué par M. Fox est complètement inconnu à Washington, si bien que dans l’ignorance absolue du fait, où il se dit, M. Forsyth demande des explications au diplomate anglais sur son assertion, afin de remonter jusqu’à la source d’une erreur aussi grave[1]. Le gouvernement fédéral répondit à la note de M. Fox que les autorités du Maine, en prenant des mesures pour arrêter les maraudeurs, étaient restées dans la limite de leur droit ; que le gouverneur du Nouveau-Brunswick s’était mépris sur le caractère de l’acte

  1. Je crois qu’en ce point le gouvernement des États-Unis a parfaitement raison, car je trouve dans une dépêche de lord Palmerston au prédécesseur de M. Fox, en date, du 25 février 1833 : « Vous pouvez déclarer à M. Livingston (qui était alors secrétaire d’état) que le gouvernement de sa majesté est entièrement de l’avis du gouvernement des États-Unis sur le principe de continuer à s’abstenir, pendant le cours des négociations, d’étendre l’exercice de la juridiction sur le territoire contesté, au-delà des limites dans lesquelles cette juridiction a été jusqu’à présent exercée par les autorités de l’une et de l’autre partie. » Ceci ne veut assurément pas dire que l’Angleterre ait sur le territoire en litige un droit de juridiction exclusive, comme le prétendent M. Fox et le gouverneur du Nouveau-Brunswick.