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REVUE. — CHRONIQUE.

pas. Enfin, il est des peuples qui n’ont laissé aucun livre et qui pourtant ont été grands par la pensée. J’essaierai de retrouver les traces de leur intelligence ; et, de la même manière que l’esprit d’un auteur s’éclaire des détails de sa vie privée, je chercherai à montrer la concordance du génie religieux, littéraire et philosophique des peuples avec ce que l’on peut appeler leur biographie, c’est-à-dire avec le caractère général de leur histoire et les formes dominantes de la nature dont ils ont ressenti l’influence.

Notre vie est rapide, messieurs. Un moment à peine nous est accordé pour nous informer de cet univers, après quoi il faut mourir. Donnons-nous donc à la hâte le spectacle de ce que les hommes ont pensé, inventé, cru, espéré, adoré avant nous. En rattachant tout ce passé à notre courte existence, il semblera que nous nous agrandissions nous-mêmes, et que, d’un point imperceptible, nous fassions, nous aussi, une ligne infinie.

Edgar Quinet.


Théâtre-Français.
Mademoiselle de Belle-Isle,
COMÉDIE, PAR M. ALEXANDRE DUMAS.

Entre tant de gens de talent qui se fourvoient, et qui semblent, à chacune de leurs œuvres nouvelles, vouloir réaliser sur eux-mêmes la décadence dont parle le vieux Nestor à l’égard des générations successives, c’est un vrai plaisir qu’un succès soudain, brillant, facile, qui, pour l’un d’eux, remet toutes choses sur le bon pied, et montre qu’une veine heureuse n’est point du tout tarie. M. Alexandre Dumas est un auteur aimé du public, et l’on a applaudi de bon cœur sa spirituelle et vive comédie. On a retrouvé de primesaut l’auteur de Henri III, d’Antony, même d’Angèle : de la rapidité, du trait, du mouvement, un entrain animé, impétueux, habile, qui laisse peu de trêve aux objections, qui amuse avant tout et enlève, qui touche quelquefois. La vocation dramatique de M. Dumas est si nettement décidée, qu’il y a lieu de s’étonner qu’il s’en détourne jamais pour des écrits dont l’intérêt unique est encore un reflet de ce talent de scène qui lui a été donné. Dans ses pièces même de théâtre, il a, une ou deux fois, essayé d’un certain genre qui passe, avec raison, pour plus noble, plus sérieux et plus profond. Quoique de tels efforts, s’ils étaient suivis avec constance, soient de ceux qu’il y a presque obligation à favoriser, et quoique l’auteur de Christine ait paru un moment vouloir les poursuivre, nous croyons que c’est au théâtre surtout que l’effort ne doit point paraître trop prolongé. Si l’on a une vraie veine, l’important est de la développer et de la pousser un peu haut sans doute, mais avant tout de la reconnaître et de la suivre, M. Dumas qui, en un ou