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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

que c’était doux, près de soi, d’avoir un haut abri dans ses pensées, et cependant il s’en est tiré mieux que tous les cadets de grands hommes en littérature : il a trouvé sa place par le naïf, le sensible et le charmant[1].

Quelque part, à bon droit, qu’on fasse à la vocation singulière et déclarée des talens, ce n’est pas sans une certaine préparation générale et une certaine prédisposition du terroir natal lui-même, qu’à titre d’écrivains français si éminens, on a pu voir sortir de Genève Jean-Jacques, Benjamin Constant de Lausanne, et les de Maistre de Savoie, ceux-ci surtout, qui n’en sont sortis que pour aller vivre tout autre part qu’en France. La Savoie, en effet, appartient étroitement et par ses anciennes origines à la culture littéraire française ; laissée de côté et comme oubliée sur la lisière, elle est de même formation. Sans remonter jusqu’au moyen-âge, jusqu’à l’époque chevaleresque où fleurissait bien brillamment, sous une suite de vaillans comtes, la tige de l’antique maison souveraine de ce pays, mais où, sauf plus ample information, la trace littéraire est moins évidente ; sans se reporter tout-à-fait jusqu’au temps du bon Froissart, qui se louait très fort pourtant de leur munificence :

Amé, le comte de Savoie[2],
..........
Une bonne cote hardie
Me donna de vingt florins d’or ;
Il m’en souvient moult bien encor ;

en s’en tenant aux âges plus rapprochés et après que le français proprement dit se fut entièrement dégagé du roman, dès l’aurore du XVIe siècle, on trouve quelques points saillans : dans les premiers livres français imprimés (mystères, romans de chevalerie ou autres), un bon nombre le fut à Chambéry ; on rencontre archevêque à Turin
  1. Depuis long-temps une étude sur le comte Joseph avait été annoncée dans cette Revue, et j’ai semblé reculer toujours. En face d’un tel athlète, quelque crainte est bien permise sans trop de déshonneur. Et puis, je ne l’ai pas toujours évité ; ailleurs, dans un Cours sur Port-Royal, et comme dans le champ-clos du monastère, j’ai rencontré le grand adversaire, et il m’a fallu, bon gré, mal gré, croiser le fer avec lui, pour le soutien de mes chers solitaires par trop insultés. En attendant que peut-être je détache ce travail en le complétant, je me suis pris ici au nom de l’aimable frère par manière de prélude et comme à de faciles et gracieuses prémices d’un plus grave sujet.
  2. En 1368, Amé ou Amédée VI.