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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

une voiture à Tornea, nous en trouvâmes une très commode à Haparanda. Le chemin qui conduit à Umea est ferme et sablé comme une allée de parc. On voyage le long d’une côte plate, et le paysage est large, varié, plein d’attraits. Ici s’élèvent les forêts de bouleaux dont l’automne commence à jaunir le feuillage, là les sapins aux tiges élancées, aux longues branches tombant comme des palmes. Tantôt, au détour de la route, la mer apparaît dans le lointain, riante et bleue, berçant sur sa vague assouplie une barque de pêcheur avec sa voile blanche ; tantôt c’est l’un des grands fleuves du Nord qui se déroule dans la plaine et s’éloigne majestueusement. Puis on traverse des champs féconds où les gerbes d’orge nouvellement récoltées sèchent au soleil, posées sur des pieux, ou étendues sur de longues perches, et de tous côtés les habitations se multiplient. Les fermes avec leurs granges, leurs étables, leurs staburs, ressemblent de loin à des hameaux. Les auberges ont une apparence de luxe que nous n’avions pas encore rencontrée. Partout du linge fin, de l’argenterie, de grandes salles bien meublées et des lits ornés de couvertures en soie. Partout une race d’habitans remarquable par sa forte constitution, des femmes blanches et belles comme ces anciennes femmes du Nord dont parlent les sagas.

Le soir, toute cette contrée si riante, si animée pendant le jour, a un caractère de mélancolie qui séduit le regard et la pensée. Le temps des belles nuits lumineuses qui enchantent pendant l’été les régions septentrionales est déjà loin. L’ombre enveloppe de bonne heure la forêt et la vallée. Les pâles clartés d’un crépuscule d’automne percent à peine à travers le feuillage épais du bois, et tout est endormi dans les fermes, tout se tait dans les campagnes, et le bêlement de la brebis, et le grelot de la génisse. Mais le long du fleuve on aperçoit, dans l’obscurité, des lumières étincelantes. C’est l’habitant de la cité qui va faire sa pêche de nuit. Le poisson, surpris par cette clarté subite, sort de sa retraite profonde, monte à la surface de l’eau, s’approche de la barque, et, au moment où il reste immobile et comme fasciné par la lumière, le pêcheur le saisit avec un trident de fer. Tous ces fleuves qui arrosent la Nordbothnie, le Muonio, le Torne, le Pite, le Lule, le Skellefte, abondent en poissons. C’est pour les paysans de la contrée une nourriture excellente ; c’est encore un de leurs principaux articles de commerce et d’exportation.

Après avoir passé par les habitations éparses, nous retrouvons les villages et les villes. C’est Calix et Runea, pareilles à nos grandes cités de commerce ; Skelleftea, vaste paroisse qui compte près de douze mille habitans, et Pitea, chef-lieu de la province, jolie petite ville régulièrement bâtie. Autour de l’église de Calix et de Lulea, on aperçoit une longue rue composée de maisons en bois silencieuses et inhabitées. À la voir, on dirait d’une rue ravagée par la peste, ou plongée dans un sommeil magique par les mauvais génies. Ces maisons ont été bâties par les paysans de la paroisse, qui demeurent à dix ou quinze lieues de distance. Ils viennent là le samedi, ils y passent le dimanche, puis, le lundi matin, ferment la porte et sen retournent.