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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

couche et s’en est fait une nouvelle au pied de la vallée. De l’autre côté est une montagne dont les flancs nus et la cime revêtue de sapins sombres forment un contraste frappant avec les verts enclos et les champs féconds qui entourent le presbytère. Dans le lointain, on apercevait les dernières maisons d’Umea et les mâts des navires. C’était le soir. L’ombre commençait à descendre, mais une lumière argentée imprégnait encore tout le paysage, et il y avait tant de calme dans la campagne, tant de recueillement autour de la vieille église, qu’on se sentait arrêté là par une de ces vagues et mystérieuses influences dont on ignore la cause et dont on subit le charme.

Lorsque nous rentrâmes au presbytère, la fille de Franzen avait déjà posé sur la table la nappe blanche et les tasses de porcelaine. On nous servit du thé et, ce qui était plus rare, du melon mûri par un beau rayon de soleil sur cette terre boréale. La chambre où nous étions réunis était ornée de gravures et de tableaux. Dans une chambre voisine, j’avais trouvé une collection nombreuse d’ouvrages de littérature et quelques-uns de ces bons recueils de poésies dont la vue seule rappelle de douces heures de méditations ; toute cette demeure, retirée à l’écart, loin du bruit et du monde, cette heureuse vie de famille consacrée par les muses, éclairée par l’amour, soutenue par la foi, était elle-même une charmante poésie.

Le lendemain au matin, nous nous embarquions sur le bateau à vapeur le Norrland. Le ciel était d’un bleu limpide ; le fleuve avait une clarté transparente. Une longue ligne de brouillards argentés flottait sur la plaine, se découpait au souffle de la brise et s’enfuyait en légères banderolles. Le soleil projetait sur les maisons d’Umea un rayon de pourpre ; les oiseaux chantaient dans les sillons, et, dans le moment où nous descendions sur le rivage, les rameaux d’arbres, balancés par le vent, laissaient tomber à nos pieds les perles de la rosée. Le bateau allait nous mener vers le sud, et cette nature septentrionale m’apparaissait, au dernier moment, plus belle et plus attrayante que jamais ; on eût dit qu’elle s’était parée ce jour-là pour les voyageurs, ainsi qu’une femme chérie qui, à l’heure où on la quitte, nous laisse voir en elle plus de grave et de tendresse, comme pour imprimer dans l’ame un dernier désir et un dernier regret. Quand le bateau vira de bord, quand le canon donna le signal du départ ; je me retournai vers cette terre du Nord que j’avais été si heureux de parcourir. Je lui dis adieu avec des larmes dans le cœur, et quand elle disparut à mes yeux, quand je me trouvai seul sur la pleine mer, il me sembla que je venais d’ensevelir encore un des rêves dorés de ma jeunesse.


X. Marmier