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l’ergastule, on se sent auprès de Rome, et on respire cet air, qu’elle répand autour d’elle, de servitude, de magnificence et de mort. Peu à peu, sur la ligne droite et claire de l’horizon, la grande ville apparaît, mélange confus d’édifices qu’enveloppe un nuage de fumée ; Rome, que Virgile appelle « la plus belle des choses[1], » cité commune de toute la terre, capitale de tous les peuples, ouverte à tous[2], abrégé du monde[3], ville des villes[4], Rome chantée par les poètes, exaltée par les orateurs, maudite et admirée des philosophes, et qu’après tout ses panégyristes n’ont pas trompée lorsqu’ils l’appelaient la ville éternelle. Éternelle, il est vrai, non par la force, comme elle prétend l’être, mais, ce qu’elle n’espère point, par l’intelligence ; non par les armes, mais par la parole ! Rare et glorieux destin de cette cité, que Dieu fit pour le commandement, qui ne perdit l’empire des choses que pour ressaisir l’empire plus glorieux de la pensée ; la plus grande sans nul doute de la civilisation et de l’histoire, et qui comptera deux mille ans et plus de royauté sur la partie civilisée du monde ! Un jour la Rome chrétienne, au-dessus de ce bruit et de cette poussière, qui enveloppe les monumens de la Rome impériale, se fera reconnaître à la croix du Vatican, plus proche du ciel et plus évidente, symbole d’élévation et d’unité.

Mais, à mesure que nous marchons, Rome nous environne, naît, et pour ainsi dire s’épaissit autour de nous. « On ne sait où elle commence, on ne sait où elle finit. En quelque lieu que l’on se pose, on peut se croire au centre[5]. » Peu à peu ces maisons éparses, jetées aux avant-postes de la cité, le suburbanum du riche, le tugurium du pauvre, les tombeaux épars, les chapelles isolées, se rapprochent, serrent leurs rangs, s’alignent en rues et deviennent ville. Chaque faubourg de Rome est souvent une grande cité, simple vestibule de celle qu’on nomme la ville. Continuons notre route, franchissons la porte Capène, traversons le centre de ce tourbillon et de cette magnificence, le cœur de la cité, son Forum ; et si, troublés par le flux et le reflux de tout ce peuple agité dans Rome comme la mer dans son bassin, nous voulons nous recueillir et contempler un peu, montons au Janicule, où, séparés par le Tibre de la portion vivante de la ville, nous pourrons la dominer d’un regard. Ces deux buttes, Saturnia et Pa-

  1. Rerum pulcherrima Roma.
  2. Aristides Rhetor.
  3. Athénée.
  4. Polemo sophista apud Galen.
  5. Dionys — Aristides.