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plis dans cette enceinte les devoirs de l’historien, j’espère que j’y trouverai les sentimens de l’équitable postérité.

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord naquit à Paris, le 13 février 1754. Il appartenait à une ancienne et grande famille. Il était l’aîné de sa branche, et, quoiqu’il fût dès-lors destiné à en devenir le chef, les soins de la prévoyance comme ceux de l’affection manquèrent à ses premières années. Il fut abandonné dans un des faubourgs de Paris à la négligence d’une nourrice. Une chute qu’il fit à l’âge d’un an le rendit infirme pour toujours et donna un autre cours à sa vie. Ses parens ignorèrent d’abord ce malheureux accident, et, lorsqu’ils l’apprirent, il devint une cause de disgrace pour lui. À cette époque, on assignait d’avance aux enfans des grandes familles la place qu’ils devaient occuper dans la vie ; il y avait pour eux une sorte de prédestination sociale. L’aîné était voué aux armes, les cadets à l’église. L’un était chargé de continuer la famille, les autres étaient condamnés à s’éteindre dans une stérilité profitable à sa splendeur.

M. de Talleyrand, qui était appelé à se mettre à la tête de la sienne par droit d’aînesse, fut destiné à la carrière des cadets par son infirmité. Ses parens disposèrent de lui sans égard pour ses goûts. L’église devint son partage. Il passa des mains mercenaires auxquelles il avait été confié, au collége d’Harcourt, et de là à Saint-Sulpice et à la Sorbonne, sans avoir couché une seule fois depuis sa naissance sous le toit paternel. Livré à lui-même pendant son enfance et sa jeunesse, il se forma seul. Il réfléchit de bonne heure, et apprit à concentrer des sentimens qu’il ne pouvait pas exprimer et répandre. M. de Talleyrand était né avec des qualités rares. L’éducation qu’il reçut à Saint-Sulpice et à la Sorbonne en ajoutèrent d’autres à celles qu’il tenait de la nature et dont quelques-unes prirent même une autre direction. Il était intelligent, il devint instruit ; il était hardi, il devint réservé ; il était ardent, il devint contenu ; il était fort, il devint adroit. L’ambition qu’il aurait eue partout, et qui, inséparable de ses grandes facultés, n’était en quelque sorte que leur exercice, emprunta aux habitudes de l’église sa lenteur et ses moyens. Témoin, depuis qu’elle existe, de tant d’arrangemens mobiles et de tant d’idées passagères, l’église a mis sa politique dans sa patience ; se croyant l’éternité, elle a su toujours supporter le temps et attendre en toutes choses le moment propice pour elle. C’est à cette grande école que M. de Talleyrand s’instruisit dans l’art de pénétrer les hommes, de juger les circonstances, de saisir les