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férieures comprennent et applaudissent avec transport, se trouve en même temps, par le bonheur de son existence, un simple avocat vivant de sa clientelle. À quatre heures du matin, à genoux devant son crucifix, vous le trouvez tout le jour perdu dans la poussière des dossiers, arpentant les cours de justice en compagnie de ses cliens et de ses confrères ; puis, vers le soir, vous le voyez à table, la tête libre et la parole enflammée, portant de patriotiques toasts au sein de réunions où se pressent devant lui le clergé qui l’aime comme un homme de foi, la noblesse qui le présente avec orgueil comme l’un des siens, la bourgeoisie à laquelle il a demandé une glorieuse adoption, le peuple enfin, le peuple surtout, dont il connaît toutes les pensées, et dont il sait parler la langue.

Les essais tentés avant cette époque pour organiser le grand corps catholique avaient tous échoué, on vient de le voir, par l’effet de dissidences personnelles. O’Connell fut le centre autour duquel se groupèrent pour la première fois des forces étrangères et jusque-là presque hostiles les unes aux autres. Cette union, qu’il poursuit encore, a été la pensée principale de sa vie ; il la conçut et la réalisa dans les circonstances même où elle semblait le plus difficile à atteindre.

L’isolement dans lequel l’aristocratie catholique persistait à se tenir, la scission introduite entre elle et la bourgeoisie, ces faits déjà si graves, l’étaient devenus bien plus encore par suite d’une circonstance nouvelle.

Une notable partie des catholiques romains d’Irlande s’était montrée disposée à traiter avec le gouvernement britannique, en sacrifiant une portion importante de leurs libertés religieuses. Ils ne repoussaient pas, pour prix de l’émancipation politique, la concession d’un veto à exercer par la couronne sur la nomination des évêques et des dignitaires ecclésiastiques. Grattan, d’abord autorisé à soumettre ces termes d’arrangement tant au parlement qu’au cabinet, fut le généreux intermédiaire d’une transaction à laquelle il renonça sans hésitation, et non sans regret, du moment où les résistances du clergé catholique lui firent craindre qu’elle ne suscitât des scrupules dans la conscience de ses compatriotes.

Ce projet, accueilli avec faveur par la noblesse et des notabilités de toutes les classes, avait rencontré peu d’appui dans la masse de la nation. Pendant que ce schisme divisait le parti catholique, celui-ci trouvait des obstacles sans cesse croissans dans les associations secrètes des campagnes, et les crimes chaque jour plus multipliés du white-boysme. Telles étaient les difficultés qui s’offraient à O’Con-