Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/569

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
565
LA VALACHIE.

part, que des amas de cabanes. J’arrivai, à la sortie de la messe, dans un endroit plus populeux et moins pauvre que les autres, à ce qu’il me parut. Tous les paysans étaient réunis sur la place de l’église que, sans la croix qui la surmontait, j’aurais confondue avec les autres habitations. Les femmes portaient leurs haillons avec assez de coquetterie ; quelques-unes étaient parées de colliers composés de piastres et d’autres pièces de monnaie enfilées ; presque toutes avaient tressé dans leurs cheveux des couronnes de fleurs. Le costume des hommes ne différait guère de celui de mes postillons. Un groupe de villageois sautait aux accords peu mélodieux d’une cornemuse, mais la foule se pressait surtout autour de deux bohémiens qui faisaient prendre mille postures différentes à un gros ours brun. Je rencontrai souvent, dans la suite de mon voyage, des familles de ce peuple paria, appelé chez nous bohémien, et zingare en Valachie, émigrant avec tout leur avoir sur un immense chariot traîné par des buffles. Ces familles forment chacune, pour ainsi dire, une colonie complète ; les hommes sont charrons ou serruriers les jours ordinaires, saltimbanques le dimanche ; les femmes tirent les cartes, vendent des philtres d’amour, et ne laissent jamais souffrir ceux qui trouvent des charmes à leur beauté africaine.

Après avoir passé le Schyl sur un pont chancelant, nous retrouvâmes la plaine pour ne plus la quitter. Le Schyl est une des plus grandes rivières de la Valachie ; quelques travaux le rendraient facilement navigable jusqu’au Danube, et il servirait ainsi de débouché aux belles campagnes qu’il arrose. C’est sur ses bords et dans le bannat de Crayova que se passèrent les scènes les plus cruelles de la dernière guerre ; aussi le pays est-il inculte, bien que le sol soit d’une admirable fertilité. Le chanvre, le lin et d’autres plantes y croissent naturellement avec une abondance extraordinaire ; mais les habitans ont fui dans les montagnes, et six années de paix ne les ont point encore ramenés sur ce sol qui doit devenir un jour, pour eux, une féconde source de bien-être.

J’arrivai vers le soir à Crayova, où l’aimable accueil de M. le major Falkojano me fit oublier toutes les fatigues de la journée. Le lendemain, je visitai la ville, qui occupe le second rang parmi celles de la principauté. Crayova fut long-temps le siége d’un bannat indépendant, et même, depuis sa réunion à la Valachie, elle a conservé quelques priviléges. C’est dans son sein que résident les boyards assez sages pour ne point aller gaspiller leur fortune à Boukarest. L’aisance y est générale ; la principale rue est occupée par des boutiques qui