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REVUE DES DEUX MONDES.

d’hier, la fille de Poppée ; pauvre homme esclave de Néron, comme nous sommes tes esclaves ! — Fais-toi étouffer pour aller entendre Néron au théâtre, et meurs de faim plutôt que d’en sortir. Ta fortune, tes villas, tes esclaves, toute ta gloire et ta magnificence, aie soin d’en léguer, par un testament bien public, une large part à Néron, une portion assez forte encore à Tigellin ou à d’autres, pour que Néron mécontent ne te prenne pas le tout et ta vie en même temps. — Bois ton vin de Chio, ris avec tes amis, écoute tes concerts, couronne-toi de fleurs, sois heureux, plein de joie ; mais tremble pour ta vie, et prends garde de ne pas coudoyer l’affranchi de quelque délateur !

Il me reste à parler de César ; mais si vous résumez en quelques mots le tableau de cet ordre social préparé par les luttes de toute l’antiquité, dont Jules-César avait déblayé la place, Auguste posé les fondemens, Tibère construit l’édifice, vous trouvez, je le répète, comme base essentielle et primitive, l’esclave obéissant au maître, à un degré plus haut le client aux pieds du patron ; enfin, le sujet prosterné devant César, et par une fatale réciprocité, le maître tremble au milieu de ses esclaves, le riche ne se fait des cliens parmi le peuple que pour avoir une défense contre le peuple, et César, qui opprime Rome et le monde, redoute la populace de Rome ! Ainsi chacun inspire la terreur et l’éprouve. Chacun a son esclave dont il a peur, et son tyran dont il se fait redouter. Double système de tyrannie et de menace, d’oppression et de terreur !

Pardonnez-moi ces préliminaires. J’achève l’histoire de ce demi-siècle qui commence sous Auguste et finit avec Néron. Ce n’est plus la société du temps de Jules-César, ce n’est pas encore celle des empereurs bourgeois Vespasien et Titus ; c’est une époque entière qui est soi, qui a son caractère et sa place, et j’ai voulu avoir la conscience nette de tout ce qui me restait à dire sur elle.


F. de Champagny.
(La seconde partie au prochain no .)