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GOETHE.

il chante, il prie, il se passionne imprudemment ; il arrive souvent que, dans la fièvre de l’inspiration, il cesse tout à coup d’être un poète vis-à-vis de son œuvre pour devenir un homme en présence de la société ; parmi les caractères dont il s’entoure, il n’affectionne et ne relève que ceux dont la nature exaltée et loyale convient à sa propre nature, oubliant les autres qu’il laisse à tort dans l’ombre. De là dans Schiller un enthousiasme constant qui l’entraîne souvent loin des sentiers de l’observation véritable, une sorte de subjectivité qui le soumet sans cesse à des influences personnelles. Goethe se retire sur les hauteurs de son génie pour contempler de là l’humanité ; Schiller, au contraire, demeure parmi les hommes, soit par un sentiment de divine faiblesse, soit que son illuminisme recule devant la responsabilité d’un pareil acte. Quelque sympathie qu’on ait pour l’illustre auteur de Wallenstein et de la Vierge d’Orléans, il est impossible de ne pas rendre hommage à l’incontestable supériorité de Goethe. L’un subit les lois du sujet, l’autre le domine ; l’un se débat sous les fils embrouillés qui l’enveloppent ; l’autre, assis sur son escabeau d’airain, les dévide à loisir entre ses doigts puissans. On peut dire de Schiller qu’il est dans l’œuvre tout entier, de Goethe, qu’il en est dehors, au-dessus. Autant qu’on peut comparer les images périssables des hommes avec les types éternels, Goethe, dans cette impassibilité sublime qui ne se dément pas un seul instant, crée à l’exemple du Dieu de la Genèse. Quant à l’idée du poète qui dépose dans son œuvre l’essence la plus pure de son cœur, puis s’endort laissant un livre tout embaumé des plus suaves parfums de son ame, c’est là une idée éclose du panthéisme. Le panthéisme, en confondant ainsi, par orgueil humain peut-être, le sujet et l’objet dans la même pensée, me semble amoindrir singulièrement l’œuvre de Dieu dans la création.

Ainsi que nous l’avons dit, Goethe ne pouvait abandonner l’idée de Faust ; c’était une fatalité qui pesait sur lui et dont il ne se rendit peut-être jamais compte, de ne pouvoir se séparer de cette idée et d’avoir incessamment à la nourrir de sa propre substance. Qu’on se figure l’incertitude étrange et le sentiment de regret qui dut s’emparer de Goethe, lorsqu’après avoir terminé les premiers fragmens de Faust à vingt-trois ans, il se vit tout à coup au moment d’en avoir fini avec le sujet de son affection. Vivre sans Faust, c’était vivre dans le désœuvrement et l’ennui. Que faire ? renouer cette idée à quelque composition immense et telle qu’il lui faudrait sa vie entière pour l’exécuter ? Mais Faust est mort. Qu’importe ? sa destinée est loin