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GOETHE.

Méphistophélès. — Laissez un peu que j’appuie mon pied sur votre pied malade.

La brune. — Soit, cela se fait bien entre amoureux.

Méphistophélès. — Le pied, mon enfant, a bien d’autres vertus : similia similibus ; c’est le remède à tous les maux, le pied guérit le pied, ainsi des autres membres. Approchez, attention ! vous ne me le rendrez pas.

La brune, poussant les hauts cris. — Aïe, aïe, cela brûle ! Quel rude coup ! c’est comme un sabot de cheval.

Méphistophélès. — Oui, mais vous êtes guérie. Tu peux maintenant danser tant qu’il te plaira, et jouer du pied sous la table avec ton amoureux.

Une dame, traversant la foule. — Laissez-moi, de grace, arriver jusqu’à lui ; je n’y tiens plus, je sens le mal bouillonner dans le fond de mon cœur ; hier encore il cherchait le bonheur de sa vie dans un regard de mes yeux, et le voilà aujourd’hui qui lui parle, et me tourne le dos.

Méphistophélès. — Hélas ! c’est grave en effet, mais écoute-moi ; approche-toi de lui, sur la pointe du pied, prends ce charbon, trace une raie avec sur ses manches, son manteau, ses épaules, et l’infidèle sentira comme tu le souhaites, il sentira le repentir le piquer au cœur. Quant à toi, il te faudra avaler ce charbon sur-le-champ, et cela sans te mouiller les lèvres d’une goutte d’eau ou de vin ; suis mes conseils, et ce soir même tu l’entendras soupirer devant ta porte.

La dame. — Ce n’est pas du poison, au moins.

Méphistophélès, indigné. — Respect à qui de droit ! Vous iriez loin avant de trouver un charbon pareil. Il provient d’un bûcher que nous attisions jadis avec le plus grand zèle.

Un page. — Je suis amoureux, monseigneur, et l’on me traite en enfant.

Méphistophélès, à part. — Je ne sais plus à qui entendre. (Au page.) Ne t’adresse pas aux plus jeunes, les matrones sauront bien t’apprécier. (D’autres se pressent autour de lui.) Encore de nouvelles, quelle rude besogne ! j’aurai recours à la vérité ; le moyen est désespéré, mais le danger est grand : ô mères, mères ! lâchez Faust.

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L’astrologue. — Je vous annonce en vêtemens sacerdotaux, le front couronné, un homme merveilleux qui vient accomplir maintenant ce qu’il a courageusement entrepris. Un trépied monte avec lui du sein de l’abîme creux. Déjà je pressens les bouffées d’encens qui s’exhalent du vase. Il se prépare à bénir le grand œuvre ; de tout cela il ne peut que résulter quelque chose d’heureux.

Faust, d’un ton solennel. — Je vous adjure, ô mères qui trônez dans l’infini, solitaires, sociables pourtant, la tête ceinte des images de la vie active, mais sans vie ! Ce qui jadis était se meut là dans son apparence et sa splendeur, car les désirs de l’éternité travaillent ; et vous, vous savez répartir tout cela, ô puissances suprêmes, pour la tente du jour et la voûte des nuits. La vie agréable