cher du maître, résoudre en un moment les plus hautes questions de philosophie et de morale, et courir effaré par les mille sentiers du champ de la science, coupant sans façon, du bout de sa cravache, la tête aux plus nobles pavots. C’est un coursier indomptable qui obéit aux provocations de sa nature ardente : il va, il vient, bondit ou se roule dans l’herbe, lance des ruades au hasard, et, dans ses ambitieuses fureurs et sa folle jactance, franchit toutes les limites, au risque de se rompre le cou.
reux et dispos, et vous vous endormez empereur dans votre lit ; le lendemain, à votre réveil, vous cherchez votre couronne et ne la trouvez plus. C’est cruel, je l’avoue ; mais au moins votre tête, en tant que l’empereur en avait une, votre tête est encore à sa place, et c’est, à mon sens, un grand point. Quelle différence avec les empereurs antiques, massacrés par douzaines dans l’histoire, et jetés ensuite dans le Tibre ! Pour en revenir à nos consécrations, il est mort récemment, à Iéna, un autre jeune poète, trop tôt, on peut le dire. Celui-là, on ne l’aurait pas fait empereur, mais au moins vicaire de l’empire, major domûs, ou quelque chose de ce genre. Dans quel rang glorieux de la littérature allemande le jeune héros n’aurait-il pas trouvé sa place ! On dit qu’il est question de fonder une chambre des pairs de l’intelligence. L’idée me paraît excellente. Si le poète d’Iéna eût vécu quelques années de plus, il devenait pair du royaume sans s’en douter. Mais, comme je l’ai dit, il est mort trop tôt ; de toute façon, il s’est trop pressé. Du train dont vont les choses aujourd’hui dans notre littérature nouvelle, il faut aller à la renommée le plus vite possible, mais à la mort le plus lentement. Là est tout le secret. Il ne suffit pas, pour être un grand homme, d’avoir publié quelques sonnets et deux ou trois almanachs. Les amis du jeune poète nous ont assuré, dans les feuilles publiques, que ses sonnets vivraient long-temps dans la postérité. J’avoue que jusqu’à présent je n’ai pas pris soin d’éclaircir l’affaire, et par conséquent ne saurais dire si leur prédiction s’est accomplie. — J’ai bien des fois, dans ma jeunesse, ouï dire à des hommes graves qu’il arrive souvent que tout un siècle travaille à produire un poète, un peintre de génie. Mais, à ce qu’il paraît, nos jeunes gens y ont mis bon ordre ; c’est un plaisir de voir comme ils traitent leur siècle. On ne sort plus de son siècle aujourd’hui, comme naturellement cela devrait être ; mais on prétend l’absorber en soi tout entier ; et si tout ne se passe pas selon leur fantaisie, ils se prennent de beau dépit envers le monde, méprisent la multitude et raillent le public. Dernièrement, j’eus la visite d’un étudiant de Heidelberg qui pouvait avoir dix-neuf ans ; il m’assura, du plus grand sang-froid, qu’il avait approfondi toute science, et que, sachant parfaitement à quoi s’en tenir désormais, il comptait s’abstenir de toute lecture, et ne voulait plus que développer à loisir ses théories sur l’univers, sans jamais s’embarrasser à l’avenir des langues étrangères, des livres, des classifications et des systèmes. Voilà certainement un sublime début ! Si chacun recommence à sortir du néant, quels admirables progrès nous allons faire avant peu ! » (Goethe aus näherm persönlichem Umgange dargestellt. — Joh. Falk, S. 103.)
Cet étudiant de Heidelberg nous a bien l’air d’avoir posé devant Goethe pour la scène du bachelier dont il est question plus bas. Le lecteur appréciera ces paroles de l’auteur de Faust. Quant à nous, nous ne saurions approuver cette ironie