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DU TRAVAIL INTELLECTUEL EN FRANCE.

ture, que de nos jours un homme ne se traduit plus tout entier dans une œuvre. La variété des productions et des actes est imposée par le caractère même du siècle à ses agens ; l’unité est dans l’homme même. Tout esprit fortement organisé a une cohérence interne qui établit des rapports nécessaires entre les mouvemens qu’un examen superficiel prend pour disparates. Sa tendance est fatale, car son but dépend de son principe. Mais il faut du temps aux expansions de l’intelligence ; elle a besoin de toute la durée qui lui a été naturellement assignée. C’est donc une grande étourderie que de vouloir juger notre âge, quand l’eau de la clepsydre séculaire ne s’est pas même encore écoulée à demi, et nous sommes fâché qu’un écrivain d’aussi bonne foi que M. Duquesnel se soit engagé dans ce mauvais pas.

Il est facile de reconnaître dès les premières pages de son livre combien il s’est peu douté de la nature et des exigences de son sujet. Il commence brusquement avec l’année 1815, sans dire un mot sur tout ce qui a précédé l’époque de la restauration. Mais ce dix-neuvième siècle qu’il aborde ainsi ex abrupto, d’où vient-il, d’où procède-t-il ? On estimerait déraisonnable de tracer la biographie d’un homme sans parler de son origine, de sa famille, de l’éducation qu’il a reçue, et l’on croit pouvoir entamer l’histoire d’un siècle sans poser pour soi-même et sans soumettre au lecteur ces questions nécessaires de filiation et d’antécédens ! Comment se flatter d’énoncer sur le XIXe siècle quelque appréciation légitime et claire, sans un jugement préliminaire porté sur l’âge précédent et sur la grande révolution qui fut à la fois un dénouement et un passage à d’autres destinées ? À quoi peut-on moins appliquer cette parole, prolem sine matre creatum, qu’à un siècle, à une partie de la succession des temps, à un effet dont la nature et les accidens reportent incessamment notre pensée sur la cause ? Ces oublis et ces inadvertances semblent dénoter un esprit peu fait pour la spéculation et le raisonnement. Le livre de M. Duquesnel nous offre d’autres vices de méthode : divisé en quatre parties, politique, religion, philosophie, littérature, il n’a aucun point central et dogmatique d’où puissent découler les diverses applications, et qui règle leur enchaînement et leur place. Pourquoi le livre commence-t-il plutôt par la politique que par la philosophie ? Pourquoi se termine-t-il plutôt par la littérature que par la religion ? C’est une suite de petites analyses et de longues citations sans cohésion, sans unité ; tout se rencontre à un rang arbitraire, tout est confondu dans un pêle-mêle anarchique qui prouve que la plume a couru sur le papier avant que la réflexion n’ait éclairé l’esprit.

Autant au moyen-âge il était naturel de faire de la religion le