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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/74

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des Lacs, les mêmes avec qui notre poète a plus d’une ressemblance pour le génie. Wordsworth, Southey, Coleridge, de démocrates et d’humanitaires illimités, sont devenus tories : de leur plan de pantisocratie et de leurs rêves dithyrambiques dont M. Chasles nous a souvent et à fond entretenus, ils ont vite passé aux doctrines pures et simples de conservation et de résistance. M. de Lamartine, au contraire, de l’ode à M. de Bonald, en est venu à sa pièce d’Utopie qui couronne ses Recueillemens.

À tant de variations diverses, religieuses, philosophiques, politiques et poétiques, que nous notons, il en est une à ajouter encore, celle même que nous autres critiques, en les remarquant, nous subissons. Selon que nous les jugeons, en effet, ces variations, à l’âge des espérances indéfinies ou à celui déjà des méfiances croissantes, nous sommes tentés de les qualifier de noms différens. Ce que nous appelions progrès, il y a peu d’années encore, nous paraîtrait plutôt une déviation aujourd’hui, non pas peut-être qu’au dehors l’état de choses du talent ait beaucoup changé, mais parce que surtout nous le revoyons nous-même avec moins de soleil.

Rien n’est plus triste, sans doute, que cette nécessité où l’on croit être de venir mettre successivement une barre rigoureuse à chacune de ses admirations les plus profondes, et de prononcer ce fatal : Tu n’iras pas plus loin, dans une louange chère au cœur et qu’on ne croyait pas pouvoir épuiser. Tout cela, d’ailleurs, est si variable, si peu certain de jugement et d’impression, qu’on a dû hésiter long-temps. À quel point, dans un talent, le développement légitime cesse-t-il et dégénère-t-il en débordement et en ravage ? Où la transformation doit-elle convenablement s’arrêter, et où la déviation véritable commence-t-elle ? Quel est l’endroit, la mesure indécise où le lac tant aimé n’est plus lui-même, et s’affaisse et se noie indéfiniment, et n’offre plus que flaque immense de poésie ? Les talens de poètes sont, en avançant, aux prises avec des difficultés de tous genres : il faudrait rester fidèle à soi-même sans s’immobiliser, se renouveler sans se rompre. Gœthe se renouvelle, mais il se rompt l’ame à toute croyance. Manzoni reste fidèle, mais il se tait. Entre tous ces écueils et bien d’autres, M. de Lamartine du moins fait-il ce qu’il peut ?

Avec tout le respect, avec toute l’admiration bien grande qui nous reste, nous dirons quelque chose de ce qui menacerait d’être chez lui un parti-pris et une méthode nouvelle. Ces belles paroles que Dante, au chant XIII de son Paradis, met dans la bouche de saint Thomas,