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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/760

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rières ; il n’a pas de plus charmant personnage que le fumeur, priseur, buveur, paillard, vagabond, brave et rodomont personnage, le bon gros Sainct-Amant ; car il avait la panse de Falstaff, comme il en avait l’esprit. Payen, Mégrin, Butte, Gilot, Desgranges, Dufour, Châsteaupers, illustres pour avoir trinqué avec ce gros homme, viennent après lui, et tiennent place dans ses hymnes. Les viveurs de bonne compagnie, le comte d’Harcourt, Retz-le-Bonhomme, de Gêvres, de Tilly, du Maurier, de Nervèze, Puylaurens, forment le gros de l’armée ; puis les aventureuses princesses, Christine de Suède et Marie de Gonzague, astres errants dont la lueur éclaire cette troupe de voluptueux. Elle emporte à sa suite l’abbé de Marolles et le chansonnier Faret ; tous frères de débauche, chefs ou soldats de la société tapageuse, qui, de 1630 à 1650, effraya et ennuya Louis XIV. Eux-mêmes se sont nommés : ils sont les goinfres, c’est leur mot ; leur étendard bachique roule et se déploie dans la fumée de la poudre et le bruit de l’orgie. Ne les confondez pas avec les libertins, je vous prie ; autre groupe de la même époque, à la tête duquel marche le grand Viaud. Les libertins professent l’athéisme ; au culte des jouissances, ils joignent un système philosophique dont ils vous entretiendront si vous voulez, et qui coûtera la prison à quelques-uns d’entre eux, à d’autres la patrie ou la vie. Mais les gastronomes, ceux qui se sont baptisés les goinfres, s’occupent peu de ces hautes matières ; le fracas politique leur fait peur ; ils aiment mieux le bruit des mousquetades et le choc des bouteilles que celui des disputes ; il se sont dit, comme certains viveurs qui déployèrent la nappe et ouvrirent leur caveau joyeux après la révolution française : « La guerre civile est une orgie de sang ; qu’une orgie de vin nous console. Nous ne reconnaissons pour idole que le ventre, et nous narguons la folie qui gronde autour de nous. Si la pauvreté arrive, nous avons notre épée ; le monde est grand ; nous courrons le monde, chantant et nous battant après boire. Il y aura toujours place pour nous à la table et au feu des bons vivans que nos vers réjouissent ; vieux, nous trinquerons encore ; les femmes ne dédaigneront même pas ces amusans débris du plaisir d’autrefois, et nos cheveux blancs sur des visages enluminés, et nos panses rebondies armées du baudrier de guerre, et nos hexamètres bien tournés qui se dévoueront à leurs charmes. »

Ainsi parla, ainsi vécut Marc-Antoine de Gérard, né près de Saint-Amant, dans les environs de Rouen. Il s’était un peu trompé dans ses calculs ; et lorsque, dans son réduit de la rue de Seine, méprisé du jeune Louis XIV, oublié des grands, sifflé par une généra-