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LES VICTIMES DE BOILEAU.

du berceau. Un vieillard, Merary, se met alors à raconter l’histoire de Jacob ; il faut voir de quelles couleurs céladoniques le récit hébreu se trouve enluminé. Un jeune homme est blessé à la cuisse :

De sa playe en la cuisse, au cœur l’amante il blesse.

D’autres fois le poète rencontre bien. C’est Dieu

Qui l’éternité seule a pour son diadème ;

Lui qui

A créé la nature et fait naître le temps.

Cependant la narration de Merary est interrompue par l’arrivée d’un crocodile qui nage vers le berceau. Les bergers se battent contre le crocodile ; description longue, travaillée, dont Saint-Amant ne vous fera pas grace, et qui occupe cinq pages de concetti, de détails ingénieux et d’idées singulières. La mère, Jocabel, rentre dans sa cabane et s’y endort, pour donner au poète le temps de développer dans un rêve toute la vie future de Moïse, ce qui occupe deux chants entiers. L’idylle, qui s’est transformée en épopée, va bientôt redevenir pastorale. Une tempête réveille Jocabel ; Saint-Amant veut décrire une tempête ; Jocabel prie et pleure : ces pleurs sont recueillis par un ange :

L’ange qui s’emploie à recueillir nos pleurs,
Quand un juste sujet rend leur cours légitime,
Et que nostre cœur mesme en offre la victime[1],
Dans un beau vase d’or ses larmes ramassa,
Pour les faire valoir aussitost la laissa,
Et dans le saint olympe, où la divine essence
Estale sa grandeur et sa magnificence,
Où l’on adore en trois l’ineffable unité,
Où sur un trosne pur fait par l’éternité,
Le seul estre infini, le monarque suprême,
Luit de son propre éclat et s’abisme en soy-mesme,
Et voit dessous ses pieds s’humilier le sort,
La fortune, le temps, la nature et la mort ;
Dans ce lieu, dis-je, où règne en une pompe auguste
Le prince de tout bien, le seul bon, le seul juste :
Ce ministre léger, cet ange officieux,
Présentant à genoux le vase précieux

  1. L’holocauste.